De violentes émeutes ont explosé à Nouméa le 13 mai dernier. Entraînant avec elles une secousse entière des dynamiques du territoire, elles mettent en lumière les tensions et aspirations des peuples autochtones kanaks. Ces évènements surviennent au moment crucial du « dégel électoral » et réveillent les souvenirs d’une colonisation qui ne veut plus dire son nom.
Dans la nuit du 14 au 15 mai, l’Assemblée nationale sortante a adopté par 351 voix contre 153 le projet de loi constitutionnelle actant le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Cette adoption prévoit l’élargissement du corps électoral calédonien. Jusqu’ici, toute personne ayant emménagé sur l’île après 1998 ne pouvait pas voter. Cette réglementation, instaurée par les accords de Nouméa en 1998, visait à établir une véritable citoyenneté calédonienne. Aujourd’hui, un métropolitain doit résider sur l’île depuis au moins dix ans pour pouvoir se présenter aux élections du pays. Ce changement constitutionnel majeur suscite la crainte d’une recolonisation de l’archipel et d’une extinction de la culture kanak.
Malgré les promesses des accords de Nouméa, de nombreux Kanaks continuent de faire face à des taux de chômage élevés, à une pauvreté persistante et à un accès limité à l’éducation et aux soins de santé. Michel Naepels, historien à l’EHESS, décrit la population calédonienne comme un « millefeuille de communautés » : 40 % de Kanaks, 20 % d’Européens et 40 % de Calédoniens d’origines diverses (Kabyles, Vietnamiens, Polynésiens, etc.). Les métropolitains détiennent la plupart des richesses, tandis que les Kanaks habitent souvent des squats (expression locale pour désigner les bidonvilles) en périphérie de la capitale. Ces inégalités alimentent un sentiment d’injustice et de marginalisation, poussant la jeunesse kanak à manifester pour un avenir meilleur. Si l’insurrection des jeunes indépendantistes radicaux revêt des allures barbares (cambriolages, vols de voitures, coupures d’arrivées d’eau et incendies de centrales électriques), leurs revendications sont quant à elles très claires : une redistribution plus équitable des ressources, la protection des terres ancestrales et la création d'opportunités économiques adaptées aux besoins et aux traditions locales.
Depuis mi-mai, le quartier de Rivière Salée est rythmé par les tirs de flashballs et les courses-poursuites de milices encouragées par la police, qui n’hésitent pas à tirer sur les barrages des jeunes indépendantistes. En réponse, Gérald Darmanin a déployé 3 500 policiers, imposé un couvre-feu à 18h et interdit les rassemblements, tout en coupant l’accès à TikTok. Le bilan est lourd : plus d’un milliard d’euros de dégâts, des centaines de blessés et neuf morts, dont six jeunes Kanaks. Les réactions sont diverses : Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, a appelé sur BFMTV à « stopper la course folle de cette loi ». Nicolas Metzdorf, député Renaissance, a déclaré que ce retrait serait « une erreur gravissime » qui donnerait « raison aux casseurs, aux pilleurs et aux émeutiers ». Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, Macron a suspendu la loi, ce qui ne satisfait pas le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Dominique Fochi, membre du FLNKS, déclare à Basta ! que la question de la participation aux législatives anticipées sera tranchée lors de leur congrès : « Les exigences des militants, compte tenu des pertes humaines, seront plus élevées qu’auparavant », souligne-t-il.