S.E. Hervé Magro, ambassadeur de France en Turquie : « La Turquie est un grand pays avec désormais l'affirmation d’un rôle régional et international plus important »

Arrivé en 2020, l’ambassadeur de France en Turquie Monsieur Hervé Magro s’apprête à partir. L’occasion de revenir avec lui sur les moments marquants de sa mission, mais également d’évoquer avec ce diplomate chevronné et fin connaisseur de la Turquie, l’enjeu et l’avenir des relations franco-turques.

Par Dr. Hüseyin Latif
Publié en Juillet 2023

Pour SE Hervé Magro, « la Turquie a un gros potentiel et doit continuer à s'ouvrir au monde et à son environnement régional, c'est le voeu que je forme pour ce pays ».

Vous connaissez très bien la Turquie, vous y avez vécu et vous parlez sa langue, vous avez été consul général à Istanbul et en 2020, vous êtes revenu en tant qu'ambassadeur de France en Turquie. Comment définiriez-vous la Turquie ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ?

Effectivement, mes diverses affectations dans ce pays me laissent bon nombre de souvenirs… C’est un grand pays qui a beaucoup évolué ces dernières années et est devenu aujourd’hui un acteur régional très important. Et cette affirmation d’un rôle régional et international plus important est sans conteste la différence la plus marquante que j’ai constatée au fil de ces années. En même temps, j’ai pu être témoin d’un développement très important de la société, de son ouverture au monde, de sa diversité aussi. Car la grande force du pays provient en partie de cette diversité, et le monde doit en être conscient. Pour les années qui viennent, il me semble nécessaire que la Turquie continue de s’ouvrir au monde et à son environnement régional. C’est un pays à un très haut potentiel, mais pour que ce potentiel se réalise, il faut que cette démarche d’ouverture se poursuive. C’est le vœu que je forme pour la Turquie.

D'après vous, quelle est la place et l'importance de la Turquie dans le contexte politique mondial actuel ?

Comme je viens de le souligner, la Turquie, par sa taille, par sa population, est un pays qui compte dans son environnement régional et sur le plan international. Ce que nous souhaitons, c’est qu’elle joue un rôle stabilisateur dans cet environnement très compliqué. Contrairement aux idées reçues parfois dans le pays, il n’y a pas d’hostilité en France ou en Europe à ce que la Turquie joue ce rôle important. Au contraire, nous souhaitons que ce pays prenne et assume toutes ses responsabilités dans cet environnement particulièrement complexe et où nous désirons par-dessus tout la stabilité.

Comment voyez-vous l’évolution des relations franco-turques ?   

Il convient toujours de rappeler, même s’il ne faut pas se contenter de cela, l’importance de la relation historique entre les deux pays, puisque nous commémorerons dans quelques années les 500 ans de la relation bilatérale – en l’occurrence, l’arrivée du premier ambassadeur français à Constantinople en 1535. C’est donc une relation profonde dans le temps, sur laquelle nous devons nous fonder pour bâtir durant les années qui viennent. C’est aussi et surtout une relation profonde dans de nombreux domaines : économique bien entendu, éducatif et culturel aussi, mais également, ce qui est porteur pour l’avenir, dans des domaines tout à fait novateurs : que ce soient les nouvelles technologies ou l’environnement par exemple, où nous devrons oeuvrer de concert pour répondre aux défis que nous pose le changement climatique en particulier. C’est une question qui ne se résoudra pas en quelques années, mais nous devrons en tout cas y faire face. Et tous ces domaines sont des domaines dans lesquels la France et la Turquie ont beaucoup de choses à faire ensemble. 

Après les dernières élections parlementaires et présidentielles en Turquie, comment voyez-vous la suite de la relation entre la France et la Turquie, l’Union européenne et la Turquie ?

Dans le contexte du centième anniversaire de la République de Turquie, ces élections étaient bien entendu naturellement historiques et importantes pour le pays. Les messages qui ont été adressés au président Erdoğan pour sa réélection sont, je crois, révélateurs de l’état d’esprit qui anime les pays européens et la France en particulier, dans cette nouvelle page qui s’écrit. Le président de la République a été l’un des premiers à féliciter le président Erdoğan pour sa réélection, et pour l’assurer de notre détermination à travailler avec la Turquie pour faire face aux multiples défis qui se présentent à nous. Sur le plan global, sur les questions environnementales pour faire face au changement climatique. Mais aussi sur les questions régionales où la Turquie a clairement un rôle important à jouer, que ce soit en Méditerranée orientale ou vis-à-vis de son voisinage immédiat, au sud comme au nord, où la France et l’Europe bien entendu ont également des intérêts majeurs. C’était le sens du message qui a été adressé au président Erdoğan au moment de sa réélection, un message positif d’ouverture, de volonté de travailler ensemble, et de volonté de trouver les moyens de mieux travailler à l’avenir sur toutes ces thématiques évidemment centrales pour l’Union européenne. Car la Turquie est un peu au confluent de toutes les grandes problématiques qui agitent aujourd’hui notre région : énergie, immigration, lutte contre le terrorisme… et qui nous préoccupent autant qu’elles préoccupent les autorités turques. Je crois que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble, et cette nouvelle page qui s’ouvre doit nous permettre de faire face à tous ces défis.

Vous allez prochainement quitter la Turquie. Quels ont été les souvenirs marquants de ces trois années ?

D’abord, le fait que la première année et demi de mon mandat a été marquée par le COVID, malheureusement, ce qui fait que j’ai l’impression aujourd’hui de ne pas avoir réellement réalisé l’ensemble de ma mission dans ce pays. Une image en particulier me vient à l’esprit, c’est celle des villes turques vides. C’était là mon premier souvenir marquant. Que ce soit à Ankara ou surtout à Istanbul, je me suis rendu compte à quel point il était important de vivre la ville avec ses habitants, qui font partie intégrante de la beauté de ce pays. Je pensais à tout ce que nous ne pouvions plus faire avec eux. Istanbul est une ville magnifique, mais elle n’est pas la même sans cette vie quotidienne trépidante.

Par ailleurs, mon rappel à Paris à l’automne 2020 a aussi été un moment marquant de mon séjour ici, un moment où les relations se sont particulièrement tendues. C’était tout de même la première fois dans l’histoire de nos deux républiques qu’un tel évènement se produisait…

Enfin bien sûr, je ne peux pas ne pas mentionner les terribles séismes qui ont frappé ce pays au début de cette année, le choc et la sidération que j’ai pu ressentir en voyant l’état de ces régions lors de mes déplacements dans la région, et plus particulièrement la situation à Antakya, que je connaissais plus que les autres régions touchées. Les terribles destructions ont frappé Antakya alors que la ville était en pleine renaissance économique et touristique, en plein élan d’enthousiasme... La tâche de reconstruction de toutes les zones affectées par les séismes est immense. La France et l’Union européenne sont et resteront aux côtés de la Turquie dans les mois et les années qui viennent pour l’aider à relever ce défi.

Enfin et plus largement, ce qui m’a toujours profondément marqué, c’est la qualité de l’accueil que nous avons pu recevoir partout en Turquie dans nos contacts quotidiens, nos déplacements en province en particulier, signe qu’il y a beaucoup de choses à faire ensemble.

Je tiens pour terminer à remercier Aujourd’hui la Turquie et toute son équipe, qui font un travail exceptionnel pour nos deux pays, et ce depuis maintenant plus de 18 ans.

Propos recueillis par Dr Hüseyin Latif et Dr Mireille Sadège