Ces écrivains français qui ont leur rue à Istanbul…

Trois écrivains français ont l’honneur d’avoir une rue portant leur nom à Istanbul : Alphonse de Lamartine, Pierre Loti et Claude Farrère. C’est à Taksim que se trouve la célèbre « Rue Lamartine » ou « Lamartin Caddesi ».

Par Gisèle Durero Köseoğlu
Publié en Janvier 2023

Ces écrivains français qui ont leur rue à Istanbul…

Trois écrivains français ont l’honneur d’avoir une rue portant leur nom à Istanbul : Alphonse de Lamartine, Pierre Loti et Claude Farrère.

C’est à Taksim que se trouve la célèbre « Rue Lamartine » ou « Lamartin Caddesi ». En effet, Lamartine fut considéré comme un « ami des Turcs », pour ses courageuses prises de position en faveur de l’Empire ottoman sur la Question d’Orient. Son premier séjour, en 1833, à l’apogée de sa gloire poétique, joue un rôle décisif dans sa vie, car c’est un véritable coup de foudre qu’il éprouve pour Constantinople. Lorsqu’au retour, criblé de dettes, il publie son Voyage en Orient, il y décrit, d’ailleurs, avec tant d’enthousiasme le monde oriental, que Rome met le livre à l’index ! Après son échec aux présidentielles de 1848, le célèbre poète sollicite d’Abdülmecid une terre où il puisse venir s’établir. Le sultan lui concède alors un domaine de vingt-mille hectares, Burgaz Ova, à Tire, aux environs d’Izmir. Lamartine accourt en 1850, mais bien vite, doit se rendre à l’évidence : ruiné, il est incapable d’exploiter une telle propriété ! Il publie son Nouveau Voyage en Orient et s’active pour trouver des capitaux mais tous raillent ses « châteaux en Turquie ». Le sultan lui propose alors de louer les terres et de lui en verser la rente. Pour remercier son bienfaiteur, Lamartine se lancera dans la rédaction d’une colossale Histoire de la Turquie, en huit volumes.

Quant à la « Rue Pierre Loti », elle perpétue le souvenir de celui qui effectua huit séjours à Istanbul et écrivit plusieurs œuvres sur la Turquie. Ses trois romans, Aziyadé (1879), Fantôme d’Orient (1892), Les Désenchantés (1906), et son guide, Constantinople, évoquent Istanbul sous le règne d’Abdülhamid II, qui le décore de l’ordre de la Medjidieh. Les autres sont des essais engagés. Lors des deux guerres des Balkans, Loti publie, en 1913, son premier ouvrage politique, La Turquie agonisante, en faveur de l’Empire ottoman, ce qui lui vaut des bordées d’injures en Europe et la caricature de « Loti Pacha », mais aussi une invitation du sultan, qui le reçoit en grande pompe. Il poursuit avec Les Alliés qu’il nous faudrait (1919), La Mort de notre chère France en Orient (1920) et Suprêmes visions d’Orient (1921). Des écrivains turcs l’encensent dans un colloque, en 1920, comme Yahya Kemal, qui lui consacre deux écrits, ou Suleyman Nazif, qui affirme que Loti est « la personnification de la conscience équitable du XXe siècle de l’ère chrétienne ». Loti devient même « citoyen d’honneur » d’Istanbul. Finalement, en 1921, une délégation turque se rend à Rochefort et apporte à l’écrivain, malade, un tapis et une lettre de Mustafa Kemal, « pour témoigner de la profonde et inaltérable amitié du peuple turc envers l’illustre maître qui, de sa plume magique, a, dans les plus sombres jours de son histoire, défendu ses droits ». C’est le 23 janvier 1922 que la municipalité inaugure à Fatih, la « Piyer Loti Caddesi »…

Le troisième écrivain n’est autre que Claude Farrère, dont deux romans inoubliables se passent en Turquie : L’Homme qui assassina (1907) et Les quatre dames d’Angora (1933). Turcophile passionné, Claude Farrère est aussi l’un de ceux qui ont pris la défense de la Turquie sur la scène internationale. Enseigne de vaisseau à Istanbul entre 1902 et 1904, sur le Vautour, stationnaire de l’ambassade de France d’été à Tarabya, commandé par Loti, il fera partie, après la guerre, de ceux qui s’opposent au démembrement de l’Empire ottoman. Lors de son troisième voyage, en 1922, il part à Izmit rencontrer Mustafa Kemal, chef de la Guerre d’Indépendance. Farrère comprend d’emblée que l’avenir de la Turquie est entre les mains de cet homme à la personnalité fascinante. Ce dernier le remercie d’ailleurs, en louant ce « véritable et sincère ami de la Turquie» et lui offre sa cravache de la victoire de Sakarya. Au retour, Farrère, enthousiaste, défendra la légitimité de celui qui deviendra « Atatürk », puis, écrira La Turquie ressuscitée. La « Rue Claude Farrère », « Klodfarer Caddesi », sera inaugurée à Fatih, avec celle de Loti. Ces rues mythiques continuent donc de commémorer, un siècle plus tard, l’amitié réciproque entre trois grands écrivains français et la Turquie…

Gisèle Durero Köseoğlu