L'épidémie de solitude

La solitude est l'un des plus grands problèmes de notre époque. Mais contrairement à la croyance populaire, les personnes qui souffrent de solitude ne sont pas seulement des personnes âgées ou en situation de handicap. Le groupe qui se sent le plus esseulé compte aussi des jeunes.

Par Dr. Gözde Kurt-Yılmaz
Publié en Juin 2024

Selon les données 2019 d'Eurostat, 6 % des adultes de l'Union européenne n'ont personne vers qui se tourner pour obtenir de l'aide en cas de besoin. Ce taux est le plus élevé en Italie et au Luxembourg, avec 13 %. Un adulte français sur trois vit seul, et 12 % de la population de plus de 12 ans n'a aucun cercle social comme de la famille, des amis ou des collègues. La New Economics Foundation estime que 1,2 million de Britanniques souffrent de solitude chronique. Et après l'Angleterre, le Japon a également créé le « Ministère en charge de la Solitude »…

Selon les données de l'Office national des Statistiques anglais, près de 200 000 personnes âgées en Angleterre vivent sans parler à quiconque pendant des mois. 85 % des jeunes handicapés se plaignent de la solitude. Celles qui deviennent mères très jeunes et arrivent dans le pays en tant que réfugiées se distinguent également comme le groupe le plus confronté à ce problème.

Le Royaume-Uni mène des campagnes de santé publique pour sensibiliser à ce problème et réduire la stigmatisation liée à la solitude. Après Tracey Crouch, qui fut la première ministre responsable de la solitude en Angleterre, succéda Mims Davies. À la fin de sa première année de mandat, Davies a annoncé la création de 126 programmes et projets qui bénéficieraient du fonds gouvernemental Building Connections Fund pour un montant de 11,5 millions de livres sterling. Parmi ces projets, de nouvelles lignes de transport pour les personnes les plus exposées au risque d'isolement, des solutions numériques pour maintenir les Britanniques âgés en contact les uns avec les autres, et un soutien individuel aux personnes LGBT+ confrontées à la solitude. Davies a également lancé la campagne #LetsTalkLoneliness en juin 2019, en s'appuyant sur une étude menée en 2018. Au cours d'une semaine consacrée à la sensibilisation à la solitude, elle a soulevé le problème dans une vidéo sur Facebook visant à réduire la stigmatisation associée au sentiment de solitude.

Mais Boris Johnson, devenu Premier ministre du pays, a affecté cette ministre à un autre poste en juillet 2019. La lutte contre la solitude a alors été confiée à la baronne Diana Barran, devenue la troisième Ministre de la Solitude du pays en deux ans. De juillet 2019 à septembre 2021, la fonction a donc été occupée par Barran, à laquelle a succédé Stuart Andrew.

Au Japon, alors que la solitude est observée dans différents groupes d'âge ‒ notamment les enfants, les jeunes, les femmes et les personnes âgées ‒ l'augmentation des cas de suicide, en particulier chez les femmes et les jeunes, ainsi que la baisse des taux de natalité, comptent parmi les facteurs importants qui ont mené à la création du Ministère de la Solitude.

Dans le même temps, dans une grande chaîne d'épicerie aux Pays-Bas, la présence de caisses enregistreuses où les personnes âgées ou celles qui ont besoin de communiquer peuvent discuter avec les caissiers est un indicateur important de l'épidémie de solitude et du besoin de communication. Ces supermarchés disposent également d’espaces où les clients peuvent se retrouver et discuter.

La situation n’est pas très différente en ce qui concerne l’épidémie de solitude en Turquie. Selon les résultats de la recherche publiée par Statista en 2021, le taux de personnes âgées de 16 à 74 ans en Turquie qui déclarent « Je me sens rarement/ne me sens jamais seule » est de 32 %, tandis que le taux de personnes qui déclarent « Je me sens souvent/toujours/parfois seul » est au niveau de 46 %. Si l’on considère le nombre de ménages individuels en Turquie, le nombre de personnes vivant seules a augmenté de 77,2 % au cours des dix dernières années, pour atteindre 5,2 millions. Les provinces comptant le plus grand nombre de personnes vivant seules en Turquie sont respectivement Istanbul, Ankara et Izmir.

Par conséquent, l’État et les municipalités turques ont une grande responsabilité à assumer dans la lutte contre l’épidémie de solitude.

C'est donc au tour de la Turquie, peut-être, de créer un « Ministère en charge de la Solitude »…

Dr Gözde Kurt Yilmaz