Sur les pas de Garibaldi à Istanbul…

​Saviez-vous que Garibaldi avait vécu à Istanbul ? En effet, en août 1828, Garibaldi, âgé de 21 ans, fils d’un capitaine de la marine marchande et devenu marin lui-même, tomba malade alors qu’il effectuait un voyage en Mer Noire. Le navire fit escale à Istanbul, où celui qui deviendrait l’un des « pères de la patrie italienne » allait rester trois ans, gagnant sa vie en donnant des cours de français et de mathématiques.

Par Gisèle Durero Köseoğlu
Publié en Octobre 2024

Dans les Mémoires de Garibaldi, publiées en 1861 par Alexandre Dumas, il explique : « La guerre alors déclarée entre la Porte et la Russie contribua à prolonger mon séjour dans la capitale de l’Empire turc. Pendant cette période et au moment où je ne savais comment je vivrais le lendemain, je fus admis en qualité de précepteur chez madame veuve Timoni. » Il exerça cette profession jusqu’à ce qu’en février 1832, il ne reçoive sa patente de capitaine de seconde classe et ne se réembarque sur le navire Clorinda, en partance pour le port russe de Taganrog.

Aujourd’hui, quel endroit commémore à Istanbul le passage de l’illustre patriote italien ? C’est la « Casa Garibaldi », bâtiment historique entièrement restauré, situé dans une étroite ruelle de Beyoglu et dont l’ancien petit théâtre, réhabilité, est désormais connu sous le nom de « Scène Garibaldi ».

L’histoire de cet édifice est passionnante. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, le nombre des Italiens avait considérablement augmenté à Istanbul, jusqu’à atteindre trente-mille, d’après les registres ; ils y exerçaient les professions de médecins, banquiers, architectes, ouvriers, enseignants, cuisiniers, pour ne citer que quelques exemples. Sedat Bornovalı, historien et guide conférencier, Coordinateur culturel des travaux de restauration de la « Casa Garibaldi » organisés par le Türsab, l’Association des Agences de voyage turques, raconte qu’à l’origine, à son emplacement, se trouvaient trois vieilles maisons de bois. Il semble que Garibaldi ait, lors de son séjour, habité dans l’une d’entre elles. Or, après la proclamation, en mars 1861, du Royaume d’Italie, des Italiens de Constantinople fondèrent, en 1863, une association d’aide aux travailleurs italiens de toutes classes sociales et confessions, sous le nom de « Société ouvrière italienne de secours mutuel ».  Ils demandèrent alors à Garibaldi d’en être le président, ce que ce dernier accepta tout de suite, comme l’atteste une lettre signée de lui qui se trouve encore dans les archives. Cette association caritative italienne acheta d’abord les trois maisons pour y louer des chambres à ses membres les moins fortunés, puis en 1884, fit construire un immeuble comportant une citerne, un théâtre et une bibliothèque. On y organisait des cours d’alphabétisation, des spectacles, des lectures publiques de journaux en italien pour tous ceux qui ne savaient pas lire. Des personnalités célèbres furent membres de cette société, comme les architectes Alexandre Vallaury -qui créa d’ailleurs sur ses propres fonds la première école primaire italienne dans un immeuble non loin de l’entrée de la Rue d’Algérie- Giulio Mongeri et Eduardo de Nari, dont on peut encore admirer aujourd’hui à Istanbul la multitude de somptueuses constructions. Et la « Casa Garibaldi » fut encore embellie et agrandie en 1909 sous leur égide, pour servir de lieu de réunion aux Italiens de Constantinople qui y organisaient même des bals.

Mais le rayonnement de l’édifice, dont la bibliothèque comportait 1700 ouvrages et de précieuses archives, cessa en 1911 et 1912, lorsqu’en réaction à l’invasion par l’Italie de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, l’Empire ottoman expulsa ceux des Italiens qui ne voulaient pas prendre sa nationalité. Puis, ce fut la Première Guerre mondiale et ensuite, le déménagement des ambassades à Ankara après la fondation de la république turque. La « Société ouvrière italienne de secours mutuel » et son siège périclitèrent peu à peu.

La récente restauration, après des décennies de fermeture, permet de redécouvrir les merveilles de la « Casa Garibaldi » et de son décor. La salle de théâtre affiche en lettres d’or ce qui fut la devise du lieu depuis sa création : « Celui qui aime sa patrie doit l’honorer par son travail ». Et la bibliothèque expose encore l’oriflamme, restauré par des Carmélites, que l’association d’entraide avait fait confectionner pour son cinquantenaire, le 17 mai 1913.  Ainsi continuera de vivre à Istanbul le souvenir de celui qui fut surnommé le « Héros des Deux Mondes ».