David Lynch nous a quittés. Monstre sacré de l’histoire du cinéma, c’est une légende. Mais cet immense artiste a pour moi une importance toute personnelle : son film Mulholland Drive fut pour moi une révélation.
J’ai toujours beaucoup lu, même enfant. Quand on me demandait : « Tu préfères le cinéma ou la littérature ? », la réponse était évidente : la littérature. Je dévorais les classiques russes, de formidables romans turcs, des auteurs britanniques, et d’excellents romans policiers. Mais que regardais-je à l’écran ? Des films hollywoodiens, sans doute. Pour moi, les films étaient juste un passe-temps, quelque chose qu’on pouvait regarder en faisant autre chose.
Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu Mulholland Drive. J’étais au lycée, j’avais probablement 18 ans. Je me coiffais dans ma chambre, et j’ai décidé de regarder ce film que mes parents aimaient tant. Dix minutes après, totalement absorbée par le film, j’ai débranché mon lisseur. Ce moment a changé ma vision du cinéma, ce film a marqué le début de mon amour pour les films. Avant cela, je n’avais aucune idée de ce qu’était un bon film… C’est ainsi que David Lynch a joué un rôle important dans ma vie personnelle.
Un fait intéressant à propos de Lynch est qu’il était aussi peintre. Ses films montrent que la vie est fondamentalement énigmatique, remplie de confusion, et qu’elle échappe à toute compréhension totale. La peinture, tout comme son cinéma, fait partie intégrante de son art. Il l’a pratiquée régulièrement en parallèle de ses films pendant des décennies. Il n’est donc pas surprenant de trouver des liens thématiques entre ses œuvres cinématographiques et picturales.
Prenons, par exemple, son tableau de 1988, Shadow of a Twisted Hand Across My House. Cette œuvre semble prolonger les thèmes explorés dans Blue Velvet (1986), un film où un jeune homme découvre la face cachée et inquiétante d’une petite ville de Caroline du Nord. Le tableau met en scène une maison de banlieue apparemment banale, avec un jardin, dans un paysage dégagé. Mais le ciel est sombre et oppressant, la végétation absente, et aucun enfant ne joue dans la cour. À la place, un arbre gigantesque, en forme de main torturée, semble sur le point d’écraser la maison. Comme dans Blue Velvet, cette peinture met en lumière la face sombre et inquiétante de l’Amérique des petites villes.
L’une des premières influences majeures de David Lynch en tant qu’artiste remonte à sa découverte du livre The Art Spirit de Robert Henri, publié en 1923. Ce livre n’était pas seulement un guide technique pour les artistes, mais une invitation à explorer la créativité sous ses formes les plus profondes et les plus intenses. Lynch a lu cet ouvrage alors qu’il était encore lycéen, à un moment où il cherchait probablement à comprendre ce que signifiait réellement créer.
Avant que Lynch ne se tourne vers la caméra pour explorer d’autres mondes, il le faisait déjà avec un pinceau, une palette de couleurs et une toile. Cette approche instinctive et expérimentale de la peinture est restée au cœur de son travail, que ce soit dans ses tableaux ou dans ses films.
Je suis triste que David Lynch soit mort. Aujourd’hui, le cinéma perd un peu de sa magie. Certains de mes réalisateurs préférés deviennent célèbres, travaillent avec des producteurs et acteurs hollywoodiens et gagnent plus d’argent (tant mieux pour eux !), mais leurs films ne sont plus les mêmes…
Enfin, je suppose qu’il est temps pour moi de revoir Mulholland Drive pour la dixième fois.