Justine Lebas : « Travailler l’improvisation, cela me sert autant dans ma vie artistique que dans ma vie quotidienne. Cela a été une grande révélation. »

À l'occasion de l’atelier de formation des professeurs de théâtre organisé par Fest'Istanbul au lycée français Notre-Dame de Sion, j’ai rencontré la talentueuse danseuse et chanteuse Justine Lebas. J’ai pu alors m’entretenir avec cette jeune artiste qui découvre Istanbul pour la première fois et dit à son propos : « Il y a là une énergie qui me parle et à laquelle je me sens connectée. »
Par Dr. Mireille Sadège
Publié en Janvier 2023

Justine Lebas : « Travailler l’improvisation, cela me sert autant dans ma vie artistique que dans ma vie quotidienne. Cela a été une grande révélation. »

À l'occasion de l’atelier de formation des professeurs de théâtre organisé par Fest'Istanbul au lycée français Notre-Dame de Sion, j’ai rencontré la talentueuse danseuse et chanteuse Justine Lebas. J’ai pu alors m’entretenir avec cette jeune artiste qui découvre Istanbul pour la première fois et dit à son propos : « Il y a là une énergie qui me parle et à laquelle je me sens connectée. »

Pour commencer, qui est Justine ?

Justine, c’est une jeune fille danseuse, chanteuse, qui aime créer dans toutes les formes qu’elle peut. J’ai commencé la danse à quatre ans, et j’ai toujours su que c’était ce que je voulais faire. Dans mon métier, il y a des projets qui portent plus que d’autres, mais il y a toujours des moments où je peux sentir la flamme et où quelque chose d’indicible m’indique que je suis à la bonne place.

Quelle a été votre expérience du Conservatoire ?

J’ai gardé le souvenir de m’y être sentie comme un poisson dans l’eau. Dès mon arrivée, j’ai eu l’impression d’être au diapason avec mes camarades de classe, d’avoir enfin trouvé un groupe dans lequel j’étais bien. En termes de rythme de travail, cela variait en fonction des années. Mais c’était surtout très éclectique au niveau des projets et des différents chorégraphes invités.

Comment cette formation vous a-t-elle permis de devenir l’artiste que vous êtes aujourd’hui ?

C’est en particulier grâce aux rencontres. La première chorégraphe que j’ai rencontrée est une des premières qui m’a engagée à ma sortie du Conservatoire. Il s’agit de Cristiana Morganti, une interprète du Tanztheater Pina Baush. Elle avait recréé Le Sacre du Printemps, j’ai eu un coup de cœur pour son travail très impliqué dans le corps, avec une gestuelle très belle en lien avec les émotions et en même temps une touche de jeu théâtral avec de l’humour et de l’ironie que j’aimais beaucoup. J’ai aussi fait la connaissance d’une artiste cubaine qui s’appelle Judith Sánchez Ruíz, intervenante en dernière année, qui était de la compagnie de Trisha Brown à New York et qui travaillait beaucoup sur l’improvisation. Elle nous a légué beaucoup d’outils, et cela a vraiment été mon premier pas dans cet univers. C’est une des pédagogues qui a le plus contribué à ma formation, même après l’école.

Justement, comme cela s’est-il passé, à la sortie de l’école ?

Il y a eu pas mal de périodes creuses, ce que je n’avais jamais connu. J’ai eu l’impression d’avoir été sur des rails jusqu’à mes 21 ans, et tout à coup de me retrouver un peu seule et dépourvue d’armes pour trouver du travail. C’est alors que j’ai commencé à créer mon solo Le Bleu du Travail. Il portait justement sur mon questionnement : comment trouver sa place, se créer du travail, comment accepter de se mettre soi-même en scène. Il évoquait aussi le décalage entre le rêve de mes quatre ans et ce métier dont j’avais toujours rêvé sans avoir idée de l’objectif final.

J’ai fini par m’appuyer sur ma formation. J’ai eu la chance de rencontrer à Paris une compagnie qui s’appelle Présomption de Présence, dont la directrice est Marie Desoubeaux, chorégraphe, pédagogue et formatrice qui organisait des laboratoires sur l’improvisation. Elle y faisait venir des confrères d’un peu partout pour travailler sur la composition instantanée. En une année, j’ai eu l’impression d’avoir pour moitié fait mes armes et acquis mes outils pour travailler. Travailler l’improvisation, ça me sert autant dans ma vie artistique que dans ma vie quotidienne. Cela a été une grande révélation.

Beaucoup de graines avaient donc été plantées pendant mes années de Conservatoire puis grâce aux chorégraphes qui m’ont engagée. Les formations, Les opportunités, c’est ce qui forge vraiment mon travail : des rencontres… avec un timing très particulier quand même.

La danse en tant que telle est-elle une carrière difficile ?

Oui. C’est difficile en termes de fluctuations. L’on doit enchaîner les moments de creux et d’autres qui deviennent brusquement très intenses, comme ce que je vis cette année par exemple. J’ai eu un début de saison assez calme, et en une semaine, j’étais à Lyon en workshop, puis à Metz à un spectacle que j’attendais de faire depuis vraiment longtemps. Le lendemain, j’avais mon vol pour Istanbul, et je sais que je vais continuer sur un rythme assez intense les prochains jours. La difficulté, c’est lors des moments creux. Il faut garder à l’esprit que l’on est nourri de toutes les bonnes expériences, et ne pas déprimer. Les fluctuations, il faut vraiment savoir les gérer.

Il faut donc être réellement patient et persévérant. La chose la plus importante pour moi a été de toujours me connecter à ce qui m’anime vraiment. Il faut songer à se créer des opportunités fleurissantes pour avoir de quoi garder le cap… Cela ne peut marcher que si l’on continue. Le moment où cela ne marche plus, c’est juste quand on a décidé d’arrêter.

C’est difficile d’exercer professionnellement sa passion ?

C’est assez ambigu en tous points de vue. Beaucoup de personnes profitent aussi de cette ambiguïté au niveau de la rémunération. On entend des remarques du genre : « On n’a pas besoin de te payer beaucoup, ce spectacle est déjà super nourrissant comme expérience ! »… Mais si la vie ne coûtait rien, il est vrai que ça me conviendrait de faire des choses expérimentales en studio toute la journée. Mais cela ne marche pas comme cela. J’ai aussi constaté que quand quelque chose ne m’anime pas, je me sens mal, ou que lorsque je suis obligée de danser dans un projet, je n’y arrive pas. J’ai ainsi fait quelques auditions où rien ne fonctionnait, parce que je n’y croyais pas et que tout s’est fermé en moi. Je choisis donc ainsi des projets qui m’intéressent vraiment, quitte à me retrouver avec des périodes creuses.

Comment voyez-vous l’évolution de votre carrière et passion ?

Il y a encore beaucoup de chorégraphes avec qui je veux travailler. J’ai envie aussi de me former davantage dans d’autres styles : pousser le curseur du chant par exemple, du théâtre, afin de jouer dans des pièces réellement pluridisciplinaires. J’ai aussi eu l’occasion de mener d’autres projets d’ateliers où j’ai rencontré des publics très différents, qui donnent vraiment du sens à ce que je fais. Parce que si c’est vraiment valorisant de faire des projets géniaux, ce l’est encore plus si on peut intéresser les non-initiés.

J’ai beaucoup apprécié Istanbul, c’était très intense, même si mon séjour était très court. Cette ville m’a vraiment fascinée, et j’ai bien envie d’y revenir.

Mireille Sadège