La descente aux enfers du meilleur gouverneur d’une banque centrale

Au beau milieu de l’été, le mandat de Riad Salamé, gouverneur de la banque centrale du Liban depuis 1993, a pris fin. (un article de Hannah Berthomé)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Avril 2024

Après trente années de direction et avoir été désigné en tant que meilleur gouverneur d’une banque centrale dans le monde par Euromoney en 2006 et par le Banker Magazine en 2009, il est à présent considéré comme principal responsable de l’actuelle crise économique au Liban. Il fait d’ailleurs l’objet de deux mandats d’arrêt émis par la France et l’Allemagne.

Riad Salamé, « magicien de la finance »

Riad Salamé était réputé pour être l’homme qui a permis au Liban de rebondir après quinze années de guerre. Proche de Rafiq Hariri, premier ministre de l’époque, Salamé prend la tête de la Banque du Liban en 1993 et met en place un rapport quasi fixe entre la livre libanaise et le dollar. Ses politiques financières se révèlent être très efficaces, et c’est le début des années fastes pour le Liban : les taux d’intérêt sont très élevés et les capitaux sont attirés en masse.

La descente aux enfers pour Riad Salamé et l’économie du Liban

Mais depuis 2019, le Liban connaît l’une des pires crises économiques de son histoire. La livre libanaise a perdu plus de 98 % de sa valeur face au dollar en atteignant le seuil de 100 000 livres libanaises pour 1 dollar, un record historique. Cette crise est marquée par une paupérisation extrême des classes moyennes, une inflation record, une dollarisation du marché. Les Libanais n’arrivent plus à joindre les deux bouts ; et aller travailler, avec les dépenses liées aux transports, leur revient à présent plus cher que de rester chez eux. Le Liban fait face à un effondrement des services publics, une discorde politique et une fuite des cerveaux.

Tandis que les classes moyennes sombrent dans une pauvreté sans précédent (80 % de la population vit à présent sous le seuil de pauvreté de l’ONU), il semblerait que la crise profite aux plus riches. De par le retrait de l’État de la sphère économique, les milliardaires libanais auraient vu leur fortune croître depuis 2019. Riad Salamé aurait joué un rôle majeur, juste avant le début de la crise, dans le transfert des capitaux des dirigeants politiques vers l’étranger. Selon l’économiste Nicolas Chikhani, depuis 2011 et le début de la guerre en Syrie, plusieurs signaux annonçaient la crise. Mais au lieu de changer ses politiques, Riad Salamé s’est lancé dans des montages financiers comparés à une pyramide de Ponzi.

Il est ainsi accusé de détournement massif de fonds publics et de s’être constitué un riche patrimoine immobilier et financier. Malgré ces affaires politiques et judiciaires, Riad Salamé a quitté la Banque du Liban cet été en fanfare. Au milieu d’un rassemblement de fonctionnaires, il a continué à défendre sa politique financière en déclarant que la Banque du Liban avait résisté et était la « colonne vertébrale qui a permis au Liban de se maintenir ». Il estime par ailleurs être un bouc émissaire.

Wassim Mansouri, nouveau gouverneur par intérim de la Banque du Liban

En vertu du partage confessionnel du pouvoir au Liban, le poste de gouverneur de la banque

centrale actuel est réservé à la communauté chrétienne maronite. C’est finalement un musulman chiite, Wassim Mansouri, qui a accepté de prendre la succession de Riad Salamé à titre intérimaire. En fait, Mansouri, premier vice-gouverneur de Riad Salamé, ne souhaitait pas devenir gouverneur, déclarant ne pas vouloir porter la responsabilité de la situation économique désastreuse du pays. Il a finalement changé d’avis moyennant concessions de la part des responsables politiques, et s’est engagé à rompre avec les politiques précédentes.

Un vide institutionnel de plus

Les désaccords liés à la succession de Riad Salamé s’inscrivent dans le contexte de vide institutionnel qui caractérise actuellement le Liban. En effet, depuis la fin du mandat de Michel Aoun en octobre 2022, le Liban n’a plus de président. Les parlementaires se sont réunis plus d’une dizaine de fois pour élire un président, mais aucun des deux candidats n’arrive à dégager une majorité. D’un côté, Jihad Azour, ancien ministre des Finances, est soutenu par un certain nombre de partis chrétiens. De l’autre côté, Sleiman Frangié, ancien ministre de l’Intérieur, reçoit le soutien du Hezbollah…

Face à la situation économique très critique, le Liban a besoin d’un président. Le blocage politique actuel empêche en effet la promulgation de nouvelles lois qui pourraient faire évoluer les choses.

Hannah Berthomé