Nasuh Mahruki, l’alpiniste en lice pour la mairie de Beşiktaş

Et si le premier Turc à avoir gravi l’Everest devenait maire de Beşiktaş ? (un article de Clara Marque)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Avril 2024

Après avoir passé sa vie dans les montagnes, Nasuh Mahruki vise un nouveau front : celui de cette municipalité au centre d’Istanbul. Après s’être vu refuser sa candidature par le CHP, il concourt aux élections du 31 mars 2024 de manière indépendante.

L’Aconcagua, les monts d’Alaska ou de l’Antarctique… Nasuh Mahruki a franchi les plus hauts sommets et arpenté le monde en motocyclette. Les conditions extrêmes, le risque, les accidents et la technicité, il les connaît. D’autant plus lorsqu’il a créé l’AKUT, l’Association de recherches et de sauvetage en 1994, et s’est spécialisé dans la gestion des tremblements de terre. La prévention du risque de séisme sera au cœur de son programme pour la municipalité de Beşiktaş aux élections du 31 mars 2024, auxquelles il concourt de manière indépendante.

« Mes expériences en alpinisme m’ont aidé à acquérir les capacités organisationnelles, la détermination, la persévérance et l’intelligence nécessaire pour prendre les responsabilités d’un district : je veux que Beşiktaş soit un lieu sûr face aux séismes », explique le candidat à un mois des élections municipales pour ce district central de la rive européenne. Pour cela, il compte mener une politique de prévention, préparer la population en cas de tremblement de terre et revoir la planification urbaine. Selon lui, « il faut vider les immeubles en état de péril, certains pourraient s’effondrer avec ou sans les séismes. Ils doivent être remplacés zones par zones, permettant de reconstruire intelligemment l’espace : avec des parkings tous-terrains et des aménagements pour la vie sociale ». Au cours de sa vie d’explorateur, il a compris que son pays, la Turquie, serait toujours hanté par le risque de catastrophes naturelles, ce qui l’a amené à définir des priorités : « sauver des vies, entraîner et éduquer la population à cette réalité ».

Aligné à l’idéologie du CHP, kémaliste, laïque, égalitariste et démocrate, le parti a tout de même refusé sa candidature, préférant aligner l’actuel maire de Beşiktaş, Rıza Akpolat. « J’ai eu mes chances, j’ai été déçu par ce choix, puisqu’il ne prend pas en compte les souhaits des électeurs, qui en ont assez de ce maire », déclare Nasuh Mahruki. Un quartier détient une culture propre, un caractère, des habitudes et des spécificités sociales qui doivent « être connus par leur maire. Rıza Akpolat n’est pas natif de Beşiktaş, comment peut-il représenter les habitants ? », affirme le candidat indépendant qui, lui, a grandi dans cet arrondissement. Une candidature détachée du CHP mais sympathisante, qui pourrait alors présenter une rivalité entre les deux politiciens sans toutefois desservir à l’opposition au vu des habitudes électorales du quartier. Dans ce district historiquement pro-CHP, le parti a obtenu 80,5 % des voix de Beşiktaş aux élections présidentielles de 2023, 73,7 % aux municipales de 2019, et 73,7 % à celles de 2014. Beşiktaş est ainsi, littéralement, la « pierre du berceau » du CHP. « L’électorat sera sûrement partagé entre Rıza Akpolat et moi, mais cela ne bouleversera pas pour autant la compétition partisane : la droite et l’extrême droite n’ont aucune chance de passer », remarque Nasuh Mahruki, en rappelant les 16,9 % obtenus par l’AKP à Beşiktaş lors des présidentielles. Sans le soutien du CHP, l’indépendance est toutefois une épreuve à mener, mais le candidat a déjà regroupé une centaine de partisans à ses côtés et investi un petit local au cœur du quartier.

Beşiktaş a vu grandir Nasuh Mahruki, né en 1969. Il témoigne de sa bonne connaissance des problématiques : « […] l’espace surchargé, surpeuplé, le trafic incessant, les places de parkings ou encore les routes en mauvais état. Il faut réparer et empêcher certains plans de constructions, comme les grands buildings, avant que la vie socioculturelle et économique du quartier ne soit ruinée ». Pour répondre au mieux aux attentes des locaux, il souhaite mettre en place des instances de démocratie directe et participative, tels que des conseils citoyens et des consultations. Concernant le droit des femmes, qui représentent 54,2 % des habitants de Beşiktaş, le candidat veut « créer des lieux de socialisation pour elles dans l’espace public, comme des librairies ».

Une toute nouvelle organisation, c’est ce qui a motivé Nasuh Mahruki à changer de carrière : « L’envie de devenir maire est née face au constat de notre échec, nous kémalistes, dans le système politique. L’organisation de l’opposition peine à faire barrage à Erdoğan, comme on l’a vu aux présidentielles », affirme-t-il. À Beşiktaş, l’opposition a encore une fois toutes ses chances de remporter les élections municipales de mars, mais pour sûr, la compétition électorale s’y est redéfinie à l’arrivée de Nasuh Mahruki.

Clara Marque