Ender Arat, diplomate turc au projet muséal

Le 21 février dernier, l’ancien ambassadeur de Turquie Ender Arat a présenté une partie de ses travaux sur l’histoire des réfugiés sur le sol turc lors d’une conférence à la Fondation de Littérature turque (Türk Edebiyatı Vakfı) à Istanbul. Le projet ultime ? Ouvrir un musée. (un article de Gabrielle Mahias)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Juin 2024

Au cours de sa riche carrière en diplomatie, Ender Arat a notamment été nommé ambassadeur de Hongrie en 1998. Lors de la cérémonie de présentation de ses lettres de créances au président hongrois, on lui présente des statues commémorant quatorze héros de la nation hongroise, dont les statues d’Imre Thököly, de François II Rákóczi, et de Lajos Kossuth. Leur point commun ? Tous se sont, à un moment de leur histoire, réfugiés sur le sol turc. Ayant le sentiment que la plupart des gens, notamment les Turcs, ne connaissent pas les détails de ces histoires, Ender Arat prend conscience de l’importance de rechercher les traces de ces réfugiés pour la mémoire collective historique. Son travail commence alors. Avec l’aide d’historiens hongrois et grâce aux facilités que lui conférait sa position diplomatique de plus en plus importante, Ender Arat découvre les histoires de Grecs, de Polonais, de Juifs, de Russes, d’Allemands ou encore de Français qui, à un moment de leur vie, ont trouvé refuge sur le territoire turc.

Mais ce travail ne porte pas sur les flux migratoires tels que ceux des six millions de Syriens, d’Irakiens ou encore d’Afghans venus en Turquie ces dernières années. Il porte en fait sur « les personnes qui ont eu des difficultés, une crise économique, politique, et qui sont venus en Turquie sauver leur vie, pour un certain temps. Ils se sont intégrés en partie, et ceux qui ne le sont pas sont repartis dans leur pays, ou dans d’autres pays. » Ces histoires sont donc davantage individuelles, personnelles, que des histoires de mouvements de population massifs, et traitent surtout d’héroïnes et héros nationaux souvent venus d’Europe.

Les recherches du diplomate sur ces personnages historiques concernent à la fois la période ottomane et la République de Turquie, et cherchent à comprendre pourquoi ces réfugiés ont choisi le territoire turc et non pas un autre pays. Selon Ender Arat, la raison aurait pu être sa situation géographique. En effet, « l’accès à la Turquie était facile : sur trois continents, c’est un point de rencontre. Mais parfois, les gens viennent de très loin, comme Charles de Suède et ses troupes. » Autrement dit, cette situation géographique n’est pas la véritable raison du choix turc. Le pouvoir politique et diplomatique pouvait-il alors être la vraie raison de ces déplacements ? « Mais la République turque n’est pas aussi forte que l’Empire ottoman, et pourtant elle a accueilli beaucoup d’immigrés. J’ai donc conclu que c’est peut-être la tolérance du peuple. » En d’autres termes, Ender Arat soutient que les Turcs, du fait de leur « naturel » et de leurs coutumes, ont toujours eu la porte ouverte aux étrangers, à l’image des salles de réception dédiées aux étrangers qui, par le passé, émaillaient les villages anatoliens. Ender Arat conclut dès lors : « C’est pourquoi je crois que le caractère des Turcs joue davantage un rôle dans cette affaire, et je voudrais représenter ce caractère dans le musée. »

Après des années de recherches, les projets s’enchaînent, avec en 2016 la première édition de son ouvrage Türklere Güvendiler - Tarih Boyunca Türk Topraklarına Sığınanlar (Ils ont fait confiance aux Turcs – Ceux qui se sont réfugiés sur les terres turques tout au long de l’histoire) qui a connu trois rééditions de réactualisation, ou encore une exposition en 2006, dont les panneaux étaient le support de cette conférence du 21 février 2024 à la Fondation de Littérature turque. Et précisément, lors de cette conférence, le public, plutôt âgé et masculin, a pu librement écouter et questionner l’ancien ambassadeur pendant 45 minutes environ dans une ambiance chaleureuse, la salle étant décorée de multiples drapeaux concernant la culture turque au sens large. « Mais le but n’est pas de faire des discours, des expositions, ou d’écrire ce livre. Le but final, c’est d’ouvrir un musée », déclara-t-il. La date et le lieu du futur musée sont encore inconnus à ce jour. Un travail financier et organisationnel doit encore être mené à bien pour y parvenir, après sans doute les élections municipales du 31 mars prochain.

Gabrielle MAHIAS