Guerre des codes

Je suis prêt à parier. Aucune invention n’a eu, dans l’histoire de l’humanité, un retentissement aussi fulgurant que la généralisation des outils de l’intelligence artificielle.

Par Ali Türek
Publié en Juin 2024

Je prends plaisir à imaginer les versions antérieures de ce qu’on est en train de connaître actuellement. Vous imaginez-vous le feu, la roue, la vapeur, l'électricité, diffusés partout sur la planète le jour même de leur invention ? Même l’internet a dû attendre un petit (!) moment pour s’immiscer au cœur de nos vies quotidiennes. 

Mais voilà. L’intelligence artificielle, à peine prononcée, est déjà là et gagne non pas chaque jour mais chaque seconde une place plus importante dans nos vies. Fulgurant devrait être le mot. Il y a à peine un an, on découvrait le nouveau jouet, ChatGPT. Aujourd’hui, on est capable de rédiger des courriers, parler simultanément dans une langue étrangère, créer des contenus personnalisés, formuler des commandes pour que l’outil fasse une grande partie de notre travail à notre place. 

Fulgurant… C’est bien le mot. À tel point que la réaction que l’intelligence artificielle dite générative devrait susciter ne trouve pas encore le temps de se formuler, de rétorquer. Les véritables débats autour de l’IA et son impact sur notre existence ne tournent que dans des cercles de ses géniteurs et dans un milieu restreint académique. Tout le reste n’est que spéculations et services après-vente sans importance. 

Que sait-on des débats qui animent les géniteurs de cette révolution ? Or, les coulisses nous racontent une lutte acharnée entre les partisans de deux visions parfaitement antinomiques sur l’essence et l’avenir de l’IA dans notre monde. Dans cet univers indéchiffrable au commun des mortels, deux visions, deux idéologies s’affrontent depuis longtemps. D’un côté, il y aurait les partisans d’une tendance dite « l’altruisme efficace » défendant des régulations et une prudence accrue face aux risques de disparition de l’humanité. Et de l’autre, on trouverait le camp des accélérationnistes. Pour eux, une IA super-intelligente résoudrait tous les problèmes du monde tel qu’on le connaît et ouvrirait une ère de prospérité et, bien évidemment, de gigantesques bénéfices financiers pour quelques-uns. Mais à quel prix ?

Cela va vite. Après l’académie et les médias, ce sont les pouvoirs politiques qui s’en emparent, ils commencent déjà à légiférer. Tout un arsenal interdisciplinaire est mis en jeu : la Data Science rejoint la philosophie politique qui, elle, intègre la géopolitique. Le droit, l’économie et les politiques publiques s’y voient vite impliqués. 

À peine née, l’intelligence artificielle pose de nombreux problèmes et engendre de nouveaux enjeux politiques, sociétaux et géostratégiques. Elle redéfinit les cadres que nous connaissons depuis fort longtemps. De nouvelles formes de pouvoir entre les États et géants technologiques s'ajoutent aux enjeux démocratiques de la gestion des réseaux et des outils de plus en plus performants. 

En attendant, « technopolitique » devient rapidement le mot de la décennie. Fulgurant en devrait en être l’adjectif. Ou peut-être, vertigineux. J’ai demandé, pour conclure, l’authenticité de mon texte à ChatGPT. « J’affirme que je n’ai collaboré en aucune façon à la rédaction de ce texte », dit-il. Mais qui peut affirmer avec certitude qu’il n’ajouterait pas demain un petit bémol ? « Si ce n’était pas vrai, j'agirais exactement de la même manière ».  Je ne parierais pas. 

Ali Türek