Article I - paragraphe A

Cela avait duré longtemps. Depuis des mois, Porto Alègre faisait face à un problème bien particulier d’insécurité laissant les élus locaux impuissants : on ne comptait plus le nombre de vols de compteurs d’eau dans la ville !

Par Ali Türek
Publié en Juin 2024

Tout le monde était à bout de nerfs quand, en octobre 2023, les élus municipaux de cette grande ville du sud du Brésil ont trouvé une solution et ont adopté une loi dispensant les habitants de payer un nouveau compteur en cas de vol. L’idée de la loi venait d’un élu centriste, son projet de loi a été voté à l’unanimité par le conseil municipal et a bien reçu l’approbation du maire avant d’entrer en vigueur en bonne et due forme. Sauf que dans la foulée, l’élu qui était à l’origine de la loi a fait une révélation stupéfiante dans les réseaux sociaux : le texte de la loi avait, sur sa demande, été exclusivement rédigé par une intelligence artificielle générative. 

Cette petite expérience de démocratie locale algorithmique pourrait rester anecdotique, mais ce n’est évidemment pas un cas isolé et singulier. Des milliers de kilomètres loin du Brésil, une autre initiative avait également essayé d’immiscer l’intelligence artificielle dans la construction de la loi. En mars 2023, quelques mois même avant l’exemple brésilien, un groupe centriste (encore) de députés avait déposé le premier amendement parlementaire généré par une intelligence artificielle, mais cette fois-ci, sans succès car rejeté par l’Assemblée nationale. 

L’idée que des algorithmes puissent prendre en charge la lourde tâche de légiférer peut sembler fascinante. Certains y verraient une opportunité d’enrichir le débat public en rendant l’information légale plus accessible, plus rapide et potentiellement plus équitable. L’automatisation de la rédaction de textes juridiques permettrait également de réduire les coûts et les délais associés à ce processus, favorisant ainsi l’efficacité.

Cependant, cette évolution susciterait des inquiétudes légitimes et devrait en susciter davantage. Car elle est inquiétante. Une loi rédigée par un programme informatique pourrait-elle prétendre à la même légitimité que celle élaborée par des représentants élus dans le cadre des débats encadrés et éclairés ? Comment les citoyens pourraient-ils comprendre et influencer le processus législatif ? Qui débattrait le bien-fondé ou la valeur pour l'intérêt général d’une telle norme juridique ? Qui y garantirait l’absence de préjugés ou de biais dans le recoupement opaque et complexe des données ? Finalement, qui sera responsable ? Les gouvernements ou les développeurs et entreprises d’algorithmes ? 

Beaucoup d’interrogations en suspens alors que la question de la régulation de l’IA devient primordiale. Elle se fait de plus en plus pressante. Les États se retrouvent confrontés à un défi majeur : comment encadrer le développement et l’utilisation de l’IA pour préserver les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux ?

Cette nouvelle invention est là, prête à bousculer les fondements mêmes de nos systèmes juridiques et politiques. Si elle offre, pour certains, des opportunités de progrès et d’efficacité, elle pose des défis majeurs en termes de légitimité, de responsabilité et de démocratie. Il est grand temps d’engager un débat approfondi sur la régulation de l’intelligence artificielle. 

Fulgurant et vertigineux. J’aime les sons des mots en français. Il y a une douceur et une insouciance qui s’en dégagent peu importe le sujet, peu importe le cadre. Fulgurant et vertigineux ! Envahissant et inquiétant !... Voilà ce que je pense de l’intelligence artificielle qui est à l’assaut de nos vies jusqu’aux moindres recoins. 

Ali Türek