La Turquie, au cœur de mers conflictuelles

Alors que les guerres de Gaza et de l’Ukraine impactent la mer Noire et la mer Méditerranée, la Turquie semble connectée par le nord et le sud aux conflits internationaux. (un article de Clara Marque)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Juin 2024

Analyser ces conflits sous ce prisme permet de comprendre comment les équilibres diplomatiques sont directement liés à l’équilibre des mers, selon les explications de Bayram Öztürk, spécialiste des enjeux marins.

Il dirige le département de biologie marine de la faculté des sciences aquatiques de l'université d'Istanbul, préside le conseil d'administration du TÜDAV, un  projet de suivi écologique des détroits turcs pour la protection de la biodiversité  marine, fonde le groupe d’amis de la Fondation turque pour la recherche marine… Bayram Öztürk est la référence en matière d’océans et de mers. Ses principaux sujets de recherche sont la Méditerranée, la mer Noire, la conservation des océans et la gestion des pêches : des thématiques qui semblent toutes impactées par les deux conflits actuels, la guerre en Ukraine et la guerre à Gaza.

Les affrontements entre l’Ukraine et la Russie troublent les eaux de la mer Noire depuis le 24 février 2022. « La guerre a des effets humanitaires désastreux, mais aussi écologiques ! Ces effets sont particulièrement négligés en milieux marins », explique le spécialiste. Les corridors de migration d’oiseaux censés transiter jusqu’au Danube, sont bousculés par les bombardements aériens. Sur les côtes turques, bulgares et roumaines, des milliers de dauphins sont retrouvés échoués, victimes des acouphènes causés par les basses fréquences militaires : déboussolés, ils se perdent et ne survivent pas. Concernant les eaux marines, les navires coulés déversent l’huile qu’ils contiennent dans les profondeurs, créant des risques mortels pour toute la biodiversité marine, mais aussi pour la production halieutique. « Les poissons se reproduisent en mer de Marmara, évoluent au sud de la mer Noire, et à la période de mars et avril, ils doivent remonter à la frontière de l’Ukraine. Là, ils subissent des stress traumatiques si intenses qu’ils meurent, troublant le cycle de reproduction et par conséquent la pêche », poursuit Bayram Öztürk. Retrouvées dans les eaux turques et roumaines, les mines flottantes représentent aussi un danger majeur pour la sécurité des eaux, mais aussi pour le commerce international. La circulation d’explosifs est susceptible de détruire les bateaux qui s’en approchent, comme en octobre 2023 quand un navire turc convoyant du pétrole a été endommagé par les mines.

En réaction, la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie ont signé le 11 janvier 2024 une alliance de lutte contre ces mines flottantes en lançant des opérations de déminage. La Turquie peut également actionner un autre levier politique grâce à la convention de Montreux de 1936 sur la gestion des détroits des Dardanelles et du Bosphore, où près de 40 000 navires transitent chaque année, en contrôlant les transports maritimes. La convention limite aussi le trafic naval des puissances non riveraines de la mer Noire. Depuis le 1er mars 2022, la Turquie a pris la décision de fermer ses détroits à tout trafic militaire, et s’impose ainsi comme un surveillant dans son contrôle maritime et un arbitre du passage de navires étrangers en mer Noire, en canalisant ainsi une potentielle extension du conflit. L’équilibre traditionnel des transits a été modifié dès lors que les États Occidentaux ont imposé leur embargo sur le pétrole russe, dont la flotte prend désormais le cap de l’Afrique ou de l’Inde et la Chine. L’expert ajoute qu’en matière de dialogue avec l’Ukraine et la Russie, la Turquie s’impose comme un véritable médiateur, par ses mers et au-delà.

Cap au Sud. Depuis le 7 octobre 2023, la situation au Proche-Orient est particulièrement inquiétante : plus de 33 000 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, engagée dans une guerre extrêmement meurtrière dans la bande de Gaza. La mer Méditerranée est un passage stratégique d’acheminement d’humanitaire ; la Turquie a envoyé dans la bande de Gaza 40 000 tonnes d'aide acheminée par l’Egypte grâce à 19 avions et 7 navires d’aide civile. Le président de l'IHH (Fondation turque d'aide humanitaire), Bülent Yıldırım, a déclaré en février avoir testé les points d'entrée égyptiens et gazaouis depuis la mer. Il rappelle l’attaque du 31 mai 2010 : « Israël avait à l’époque mené un raid sur le Mavi Marmara ». Ces tensions en mer s’ajoutent à la violation du droit international maritime par Israël. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay (1982), ratifiée par 160 pays, n’est pas respectée par Israël en volant des territoires marins palestiniens. Depuis la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en 2007, Israël a unilatéralement élargi ses eaux territoriales sur 40 milles nautiques, décrétant un blocus. En bloquant l’accès aux ressources pétrolières et aquatiques sur la bande de Gaza, l’agression israélienne impacte aussi les flots.

En mer Egée, cette même convention impacte l’équilibre des relations gréco-turques. La Turquie, qui a refusé de signer, s’oppose