En Turquie, la guitare classique et ses cordes multiculturelles

​D’une mélodie universelle, la musique, langage véhiculaire, a ce pouvoir de rassembler des cultures. Grande voyageuse, la guitare, a parcouru au cours de son histoire différents continents en harmonisant des influences multiculturelles. (un article de Clara Marque)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Juin 2024

C’est dans l’actuelle Turquie qu’on a trouvé un de ses ancêtres : sur le site d’Alaca Höyük, les archéologues retrouvent un instrument aux formes de guitare datant de 1500 av. J. -C. La guitare « classique » apparaît véritablement au Moyen Âge, avec le luth d’Europe de l’Ouest. Particulièrement influencée par l’Espagne, avec des guitaristes tels que Antonio de Torres, Fernando Sor, Francisco Tárrega, et plus tard Andrés Segovia, elle acquiert sa réputation moderne. De l’autre côté de la Méditerranée, l’Empire ottoman développe des instruments cousins à cordes pincées, comme le saz, le oud ou le bağlama. Si la guitare classique trouve d’abord son berceau en Occident, les musiques traditionnelles turque et persane comportent des similarités qui vont progressivement attirer la guitare en Anatolie. Deux guitaristes classiques nous racontent la manière dont ils participent à concilier cette région avec cet art musical.

« C’est un instrument qui souffre de sa réputation d’accompagnement », regrette le guitariste Emrah Koçak, « la plupart des gens voient la guitare comme une musique vieillissante du XIXe siècle ». Begül Erhan, professeure et guitariste professionnelle, est aussi de cet avis : « La guitare classique n’est pas assez connue ». Elle a alors eu l’idée de parcourir son pays, une guitare à la main, grâce au projet « Guitar in Anatolia », pour répandre le classique, jouer ses arrangements anatoliens et montrer la culture turque sous d’autres techniques mélodiques. « Quand on joue des musiques traditionnelles, les gens reconnaissent et ils ont plus d’intérêt. J’essaie d’ouvrir à cet art comme cela. Une manière d’introduire ma culture musicale à ma culture turque ! »

Emrah Koçak et Begül Erhan ont tous deux choisi de dédier leur vie à la guitare. Pour eux, il s’agit d’une vision, d’un mode de vie. L’un vit à Istanbul avec ses cinq guitares et joue des arrangements européens comme ceux de chansons d’Édith Piaf et de musiques de Chopin. L’autre vit à Ankara et préfère arranger des mélodies anatoliennes. Emrah Koçak, dont la guitare est devenue le métier depuis vingt ans, a déjà écrit un album et donné de multiples concerts. « La guitare est mon moyen de m’exprimer », dit-il. Quant à Begül Erhan, elle a lancé sa carrière internationale en 2015, travaille son troisième album et s’impose comme la première femme guitariste classique de Turquie.

Pour créer, il suffit « d’être à l’écoute », affirme Emrah Koçak. Doigts sur le manche, oreille tendue, « je crée mes arrangements au feeling », confie-t-il. Capter la mélodie, battre la mesure et convertir la chanson sur la guitare : il s’agit d’être attentif à l’émotion provoquée. « Chopin, si on essaye en mi mineur, ça ne marche pas. Mais en mi majeur, tout de suite, c’est merveilleux ! », s’exclame l’artiste.

Afin de partager leur passion, les guitaristes ont aussi choisi la voie de l’enseignement. Cet instrument s’apprend majoritairement aux conservatoires d’État d’Istanbul et d’Ankara, à l’université Bilkent et Hacettepe à Ankara, ou en écoles de musique privées. Du solfège aux arpèges, « si la guitare classique n’a pas la réputation qu’elle mérite en Turquie, c’est aussi à cause de son enseignement », regrette le Stanbouliote. Begül Erhan enseigne depuis 2010, pour des raisons financières, auto-performatives (« en enseignant, je me vois évoluer, progresser, explorer ! »), mais avant tout pour promouvoir l’éducation à cet instrument. « L’idée, c’est de fidéliser les élèves à leur guitare. Qu’ils découvrent son potentiel magique, grâce à une ouverture musicale intelligente », déclare la guitariste.

Le point commun entre ces deux artistes, c’est leurs premier pas dans l’univers de la guitare : ils ont tous deux commencé en autodidacte. L’un étudiait l’économie, et l’autre l’espagnol. Progressivement, ils ont souhaité aller plus loin dans leur apprentissage. Begül Erhan a suivi des cours auprès de Mart Ichibal, et Emrah Koçak auprès d’Utku Özkanoğlu, deux grands guitaristes « visionnaires ». Ils se souviennent de leur premier concert... « émouvant » et « à en faire tourner la tête ! »

Clara Marque