Ciel rouge

Longtemps j’ai vu la vie en rose et l’été en bleu. L’insouciance estivale sous les nuances du bleu, c’était comme de l’air frais.

Par Ali Türek
Publié en Octobre 2024

Là, il est 22h et nous sommes le dimanche 7 juillet. C’est une belle soirée d’été qui s’annonce. Une foule en extase passe sous notre balcon pour se diriger vers la Place de la République. Les résultats des législatives anticipées viennent de tomber il y a à peine deux heures pour laisser la France découvrir un nouvel épisode de sa saga politique estivale. Il y a à peine deux heures, l'extrême droite est battue dans les urnes par un front républicain. Le péril fasciste est pour le moment évité.

Mais cette marée humaine, ces drapeaux et pancartes, ces cris de joie qu’on entend depuis notre salon ont une autre nature. Ce soir, l’union des forces de la gauche est arrivée en tête. À l’instant, Libération publie la une de son édition de lundi avec une superbe photo de la place de la République : « C’EST OUF ! »

À cet instant même, la peur et le désespoir laissent leur place, ne serait-ce que pour cette nuit, à la joie et à l'espoir. La France montre son vrai visage, redevenant ce qu’elle est. Elle nous rappelle, une fois de plus, que sa grandeur rime avec les trois mots de sa devise : Liberté, Égalité, Fraternité !

C’est une belle soirée d’été. Un été qui serait probablement un des plus longs qu’aura connus la Ve République. Sa constitution, comme j’essayais de le rappeler il y a un mois, est solide. Conçue comme le contre-modèle par excellence de celle de la IVe République, elle offre tous les outils nécessaires pour permettre de gouverner et mener à bien la politique du pays. Aucun scénario ne lui échappe, si ce n’est un manque délibéré de volonté politique de s’entendre et de composer avec les mille et une forces politiques du pays. 

Aujourd’hui, plongé dans les eaux bleu turquoise (!) de la Seine en pleine effervescence des Jeux olympiques, l’enjeu n’est donc plus tant de se tenir au fait des querelles de la formation d’un gouvernement ou de la répartition des commissions, mais d'envisager le lendemain. Quelle politique, quelle société, quel monde voulons-nous demain ? Je m’y inclus, ce soir, avec fierté dans ce « nous ».

Peut-on encore et pour combien de temps limiter l’espoir politique au seul barrage républicain ? Peut-on raisonnablement nier les intérêts matériels du peuple, notamment des classes travailleuses ? Peut-on, en revanche, passer sous silence les valeurs fondamentales de dignité, de solidarité et d’humanité ? A-t-on encore le droit d’ignorer l’urgence climatique ? Ou tout simplement, ne devrait-on pas voir que l’espoir politique de centaines de milliers de gens dans ce pays se trouve précisément dans la convergence de toutes ces luttes sans exception ? 

Là, c’est une belle soirée d’été. D’un été qui serait probablement un des plus longs qu’aura connus la Ve République, mais qui devrait nous donner vite des réponses à toutes ces questions. 

Longtemps j’ai vu la vie en rose et l’été en bleu. Ce soir de juillet, je ne vois que là-haut le ciel et ce soir, le ciel est rouge. Ce rouge n’est point la marque d’une fin crépusculaire, mais celle d’un moment ultime pour s’engager, pour refuser les basses compromissions et les silences coupables, d’un moment ultime pour se mettre enfin à la lutte afin qu’on puisse bâtir quelque chose de nouveau. 

Ce soir, le ciel est rouge et c’est bien la seule couleur de l’espoir.