Redoutée, débattue, la loi immigration a finalement été promulguée en France. Après un détour par le Conseil constitutionnel et la censure d’un tiers de son texte, que reste-t-il dans le dispositif final ? Si l’institution « n’est pas une chambre d’appel des choix du Parlement », selon son président, Laurent Fabius, celle-ci a tout de même validé plusieurs mesures xénophobes c
En France, son nom traîne dans les couloirs ministériels depuis longtemps. Le projet de loi immigration entre officiellement dans l’agenda politique le 2 décembre 2023, lorsqu’il est adopté par la Commission des lois à l’Assemblée nationale. Une première motion de rejet préalable, le 11 décembre, rejette le texte avant même qu’il ne soit débattu et stoppe les espoirs de la droite. Mais ceux de la gauche seront de courte durée. Le 18 décembre, la commission mixte paritaire propose un nouveau texte, plus rude encore que sa version initiale. Il sera, sans surprise, adopté par une convergence nationaliste du Modem, de LR, de Renaissance et du RN. 150 000 personnes défilent en France le 21 janvier pour dénoncer cette dérive sécuritaire, alors que cette version du texte attend d’être soumise au Conseil constitutionnel.
Le verdict du Conseil constitutionnel tombe le 25 janvier : 35 des 86 articles seront retirés de la loi immigration. Délit de séjour irrégulier, durcissement du regroupement familial, conditionnement de certaines aides sociales à une durée de séjour, retrait du droit à l’hébergement d’urgence pour les personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou encore arrêt de l’automaticité du droit du sol : 32 d’entre eux sont considérés hors sujet et reçoivent la qualification de « cavaliers législatifs ». Ces articles controversés, défendus par l’extrême droite, ne figureront pas dans le texte officiel. Trois articles ont été censurés cette fois-ci sur le fond, comme l’instauration de quotas migratoires déterminés par un débat annuel au Parlement et l’autorisation de prendre les empreintes ou une photographie d’une personne en situation irrégulière sans son consentement.
Tout du moins, le texte validé et promulgué par Emmanuel Macron le 26 janvier conserve une large part de mesures xénophobes. L’OQTF systématisée à chaque personne déboutée du droit d’asile, le titre de séjour conditionné par le respect des « principes républicains », ou la simplification des procédures d’expulsions rendront plus difficiles les conditions de régularisation. De nouveaux motifs de refus de délivrance seront également créés. Dans le milieu du travail, les personnes étrangères d’un pays hors UE se verront refuser le statut d’auto-entrepreneur, et seuls les travailleurs sans-papiers dans les « métiers en tension » (qui connaissent des difficultés de recrutement) bénéficieront d’une facilitation de régularisation. Les droits sociaux seront aussi touchés, puisque les mineurs non accompagnés (MNA) visés par une OQTF ne pourront plus bénéficier de l’aide sociale à l’enfance. La loi prévoit, enfin, de réformer la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Quelles conclusions tirer de cette crise qui a secoué la France et sa classe politique ? Bien que la plupart des mesures prônées par l’extrême-droite aient été censurées, le volet répressif du texte voulu par Darmanin a passé l’étape du Conseil constitutionnel. Pour le ministre de l’Intérieur, il s’agit d’une « victoire idéologique ». Ces mesures gravées dans la loi inscrivent l’exclusion de l’étranger, la défiance de la migration, et peuvent être considérées comme les plus répressives en la matière depuis 40 ans.
La qualification de « cavaliers législatifs » incite à rester vigilant : bouclier contre certaines propositions, cette notion n’a pas censuré leur contenu mais bien leur caractère inadapté dans le cadre de la loi dont question. Les 32 articles pourraient ainsi être reproposés et apparaître au sein d’un nouveau texte. Le 1er février, Hervé Marseille, président des sénateurs centristes et Philippe Bonnecarrière, sénateur du Tarn, exposent un nouveau texte devant la chambre haute contenant de nombreuses idées portées par le projet de loi immigration initial et qui venaient d’être refusées par le Conseil constitutionnel. Le même jour, Gérald Darmanin annonce vouloir mettre en place une révision constitutionnelle pour 2024 concernant le durcissement du droit du sol à Mayotte. Si se réveillent les fantômes de la loi immigration, la crise qu’elle a suscitée en France pourrait prendre une ampleur nouvelle.