Les aînés parmi nos lecteurs se souviendront sans doute de Dario Moreno. De son vrai nom David Arugete, Dario Moreno, était un chanteur et acteur turc très populaire en France et en Turquie au milieu du XXe siècle. Retour sur sa vie d’artiste aux côtés de grands noms de la musique francophone.
Né à Aydın en avril 1921, à la fin de l’Empire ottoman, David Arugete a un père turc et une mère mexicaine, lesquels font de l’espagnol la langue maternelle de la future star de la chanson. Sa famille étant de confession juive séfarade, David, commence dès son jeune âge à chanter dans la synagogue d’Izmir et dans les bar-mitzvah, c’est-à-dire les cérémonies qui célèbrent l'entrée dans la majorité religieuse des garçons juifs à 13 ans. Sa voix de ténor est vite remarquée, et il entre naturellement dans le monde de la musique pour en gagner sa vie.
Participant à une tournée internationale du chef américain Mac Allen, David découvre Paris en 1948 et y enregistre un boléro en 78 tours, avec le label de musique allemand Odeon. Ce sont ensuite deux décennies d’après-guerre de succès qui s’ouvrent à lui, dans la musique enregistrée comme sur scène, de même qu’au cinéma. Il tourne en effet dans plus de trente films, dont Quai des blondes de Paul Cadéac en 1954, où il joue Lucky, ou encore Tintin et le mystère de la Toison d’or de Jean-Jacques Vierne en 1961, où il incarne Midas Papos. En musique, il alterne la scène d’opérette et les studios, et signe des contrats avec les labels Philips, Polydor et Fontana, en plus d’Odeon. Il comptabilise une quinzaine d’albums et une cinquantaine de singles, ce qui lui fait remporter le Grand Prix du Disque en France en 1958. Sa chanson La Nuit, L’Été, L’Amour lui fait remporter le Grand Prix de la Rose d’Or en 1965.
Fort de son succès, celui qui a choisi Dario Moreno comme nom de scène travaille avec d’immenses stars de la chanson. Il joue à plusieurs reprises dans l’orchestre du très réputé Michel Legrand au milieu des années 1950, il partage la scène d’opérette avec le géant Luis Mariano. Dario Moreno est aussi connu pour ses interprétations de compositions de musiciens comme les Français Gilbert Bécaud ou Charles Aznavour, comme lui originaires de l’Empire ottoman (bien que la famille d’Aznavour soit arrivée en France avant la naissance de Charles). Il tient aussi le rôle de Sancho Pança auprès du Don Quichotte de Jacques Brel dans L’Homme de la Mancha.
Ses chansons les plus populaires vont de La Vie parisienne de Jacques Offenbach, à Quizas quizas quizas en 1963, en passant par La Bamba en 1960, l’occasion pour lui de chanter ses origines mexicaines. Sans oublier Si tu vas à Rio (1958) et Tout l’amour (1959), qui ont contribué à l’immense popularité de ses musiques. Chanteur polyglotte et vivant entre plusieurs pays et cultures, Dario Moreno chante certes surtout dans la langue de Molière, mais il aime également beaucoup chanter dans d’autres langues, et notamment le turc, comme dans Canım İzmir en l’honneur de sa ville natale.
Cependant, cette célébrité attire aussi les détracteurs. Dario Moreno est poursuivi par des remarques antisémites et xénophobes, dans un contexte mondial tendu de décolonisation et d’après-guerre. En 1960, alors qu’il assiste au festival de Cannes, l’acteur Alain Cuny crache avec mépris que Moreno est un « pitre » et un « bouffon ». Quelques années auparavant, c’était l’artiste parolier Jacques Bodoin qui s’en prenait à lui dans un sketch. Attaquant d’abord les chanteurs de charme en France, qui pour un certain nombre étaient d’origine étrangère, Bodoin ne manque pas de pointer Dario Moreno pour sa turcité, à un moment où le public français n’en était pas spécialement averti.
Toutefois, chanteur, compositeur, acteur, instrumentiste de talent, Dario Moreno, travaillant toujours autour de son métissage et de son identité, a su laisser les haineux et leur médiocrité derrière lui pour protéger son art et ses prestations. Dépassant ces expressions de jalousie et de haine, il a su conserver sa personnalité sympathique et lumineuse. Son chaleureux sourire rayonnant de sincérité était de ceux qui marquaient les esprits.
Mais en 1968 hélas, juste avant de prendre l’avion pour Paris dans le cadre des représentations de L’Homme de la Mancha avec Brel, Dario Moreno est victime d’un infarctus fatal à l’aéroport d’Istanbul. Dario Moreno demeure aujourd’hui parmi les grands noms de la chanson française et du cinéma de l’après-guerre. Il repose à Holon, en Israël.