La présence française en Afrique ne date pas d’hier, mais reste en permanence contestée et mal perçue par certains qui estiment qu’elle entrave la souveraineté d’États, ranimant la mémoire traumatisante de la colonisation. Les opérations militaires Serval et Barkhane, ainsi que le système souvent dénoncé de « Françafrique » établi par le franc CFA, notamment, font l’objet de débats passionnés.
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Le 21 novembre 2023, à l’occasion d’une déclaration du gouvernement devant le Sénat, Catherine Colonna, alors ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et Sébastien Lecornu, ministre des Armées, reconduit au sein de la nouvelle formation gouvernementale de septembre 2024, ont pu dessiner les contours de la politique française sur le continent africain, entraînant un débat virulent parmi les sénateurs. Une vision à actualiser et à mettre en parallèle des dernières actualités africaines, bouleversant les perceptions du continent : entre coups d’État, élections de figures antisystèmes ou encore influence russe grandissante.
Catherine Colonna a notamment rappelé à quel point l’Afrique était un partenaire nécessaire et une priorité dans la politique étrangère de la France. Sur les plans économique, diplomatique, démographique, le continent africain pèse de plus en plus dans l’équilibre mondial. Au-delà de faire de l’hexagone un partenaire attractif sur le plan commercial, la France devrait maintenir ses relations diplomatiques pour affronter ensemble les défis liés à la paix et au climat. Il semble ainsi important que l’influence française en Afrique ne se limite pas à un engagement pour la paix régionale, bien que cela doive tout de même être maintenu : qu’il s’agisse des conflits à l’est de la République du Congo, au Soudan, ou bien de la crise en Éthiopie, le gouvernement français affirme vouloir promouvoir un dialogue continu et serein avec chaque camp.
Anticipant les critiques, le gouvernement français affirme ne pas s’ériger en donneur de leçons et ne pas vouloir s’ingérer dans les affaires intérieures des pays africains. L’idée est de rester aux côtés des démocrates africains, tout en aidant les acteurs de la société civile. Conformément aux engagements pris par le président de la République, Emmanuel Macron, le gouvernement a indiqué vouloir ainsi réinventer sa manière de travailler avec les partenaires africains : il s’agit à présent de bâtir des partenariats respectueux où chacun assume ses intérêts réciproques. Des tabous doivent être brisés, et cela commence par la restitution de certaines œuvres d’art, et par un travail de mémoire avec le Rwanda et le Cameroun. Un changement d’attitude que l’on comprend plus que nécessaire au vu des dynamiques qui traversent actuellement l’Afrique.
La décennie passée fut marquée par des transformations en profondeur du paysage politique africain, contraignant la France à y reconsidérer ses engagements. Un vent de ressentiment contre la France et son héritage colonial parcourt les vallées africaines, bouleversant les structures de nombreux pays désireux de voir leur souveraineté s’affirmer pour de bon. Une ambition qui s’exprime par de nombreux coups d’États depuis 2020 : au Burkina Faso, au Soudan, en Guinée, au Tchad et dernièrement au Niger, contre le président Mohamed Bazoum. Ces putschs, réalisés par des forces militaires hostiles aux intérêts français, ont des résultats concrets : la France met, par exemple, fin à son opération Barkhane le 9 novembre 2022, et est poussée à quitter le territoire nigérien. Cette tendance anti-France des nouvelles forces au pouvoir est comprise, voire parfois soutenue, par une population locale qui s’est longtemps sentie dupée par les puissances occidentales.
En parallèle, alors que l’influence française, et plus largement occidentale, recule en Afrique, la Russie semble vouloir y accélérer son retour en s’appuyant sur les leviers sécuritaires, économiques ou médiatiques. Se présentant désormais comme le camp à rejoindre pour lutter contre l’emprise française en Afrique, comme l’antagoniste parfait des Occidentaux, Vladimir Poutine fait de l’Afrique un nouvel acteur clé dans son système de relations internationales. Cette nouvelle politique africaine, initiée au Soudan au début des années 2010 par le soutien et les livraisons d’armes à Omar Al-Bachir, connait son apogée avec l’organisation du premier sommet Russie-Afrique en octobre 2019 et prospère encore aujourd’hui, comme peuvent en témoigner les hommages rendus à Prigojine, ancien proche de Poutine et chef des milices Wagner, en République centrafricaine en 2024. Le chef d’État centrafricain Faustin-Archange Touadéra, au pouvoir depuis 2016, soutenu par la Russie et dont la sécurité est encore assurée par Wagner, briguera un troisième mandat fin 2024. Le Kremlin semble donc désormais en mesure de dénicher des marchés, mais aussi des relais diplomatiques et stratégiques en Afrique, tout en gagnant les cœurs du continent en jouant de cette position anti-Occident. Une situation de nature à inquiéter les anciennes puissances coloniales, comme la France qui voit sa présence militaire être remise en question, tout comme sa domination économique.
Le 2 avril 2024, au Sénégal, est élu président de la République un certain Bassirou Diomaye Faye. À 44 ans, il est la plus jeune personne à occuper cette fonction. Il est élu sur un programme de rupture et de transformation, souverainiste et social, rejetant toute ingérence étrangère contraire aux intérêts des Sénégalais. Il annonce une renégociation ou un réexamen de l’ensemble des contrats pétroliers, gaziers et de pêche conclus par le passé, et affirme vouloir une plus grande équité et un plus grand équilibre contractuel. Si le jeune président refuse de singulariser la France et de la considérer comme un adversaire potentiel dans sa quête de souveraineté, ce type de politique vient toutefois remuer la position confortable dans laquelle l’ancienne puissance coloniale se trouvait en Afrique, et plus particulièrement dans la zone CFA. Entre un ressentiment croissant à l’égard de la France, une influence russe, mais aussi turque et chinoise grandissantes, et la montée au pouvoir de figures souverainistes, il est donc plus que nécessaire pour Emmanuel Macron de « réinventer la manière de travailler avec les partenaires africains ».