Au lendemain du 7 octobre, la Turquie d’Erdoğan, farouchement opposée aux opérations menées par Israël à Gaza et en Cisjordanie, décide de suspendre ses échanges commerciaux avec Israël et de soutenir la procédure pour « crime de génocide » engagée devant la Cour internationale de Justice. Comme l’explique le Dr Haydar Çakmak, interrogé par Aujourd’hui la Turquie, cette position marque un décalage avec la tradition diplomatique turque, pacifique
Une position stricte, qui le restera face à l’invasion du Liban par les forces sionistes, sans pour autant signifier un soutien aveugle aux forces de résistance en présence.
Le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan a rapidement apporté son soutien au peuple libanais, qualifiant Hassan Nasrallah de “figure majeure pour la région”, évoquant un “vide [...] difficile à combler”, tout en condamnant une “invasion illégale” qui doit “cesser au plus vite”. Selon le Dr. Haydar Çakmak, le Ministre rejette ici toute forme de sectarisme en adoptant un langage positif regroupant les intérêts de tous les Musulmans, sans distinction entre chiites ou sunnites. Toutefois, comme susmentionné, la pratique diplomatique turque est aujourd’hui façonnée par la volonté de Erdoğan. Ce dernier, inquiet de voir le peuple libanais devenir une nouvelle cible de la “politique de génocide, d’occupation et d’invasion” d’Israël, n’a eu aucun mot, aucune compassion, pour les pertes du Hezbollah. Cette retenue pour le moins inhabituelle du Président turc, condamnant les agissements israéliens sans pour autant apporter son soutien à la seule force engagée de fait dans la lutte contre l’occupation sioniste du Liban, témoigne d’une certaine ambiguité dans son rapport au “Parti de Dieu” libanais. D’autant plus qu’en parallèle, il n’hésite pas à afficher fièrement sa proximité avec le Hamas, entité sunnite.
L’affinité sunnite d’Erdoğan se reflète dans la position mesurée d’Ankara, qui peut être interprétée comme une satisfaction tacite de l'affaiblissement des soutiens chiites de Téhéran, renforçant ainsi l'influence turque dans la région. Comme nous l’explique le Dr. Haydar Çakmak, cette distance prise par Erdoğan avec les organisations chiites s’explique par leur hostilité vis-à-vis des intérêts turcs dans des dossiers régionaux importants - la position pro-Bachar al-Assad dans le conflit syrien, par exemple -, mais aussi par une certaine proximité du Président avec le mouvement sunnite des Frères musulmans, ayant des divergences profondes avec le Hezbollah et donc avec la politique iranienne. Toutefois, le professeur apporte une nuance: la puissance de la Turquie n’est pas uniquement définie par celle de l’Iran, et encore moins par les réactions du Hezbollah face à Israël. Comme le souligne Haydar Çakmak, certains islamistes sunnites en Turquie soutiennent ouvertement l’effort de l’Iran et du Hezbollah pour la Palestine. Cette prudence et cette retenue peuvent aussi s’expliquer par une sincère inquiétude de voir ces affrontements dégénérer en un conflit régional, duquel la Turquie fera tout pour rester à l’écart, redoutant les violences et une nouvelle vague migratoire.