Les 4 et 5 octobre, le XIXe Sommet de la Francophonie s'est déroulé à Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, où fut signée en 1539 l’ordonnance qui institutionnalisa pour la première fois l’usage du français. Avec pour thème « Créer, innover et entreprendre en français », cette rencontre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a regroupé 88 États, membres permanents ou observateurs.
Ce fut un « véritable succès », selon les mots de Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie, où des enjeux centraux tels que la jeunesse francophone, l’emploi ou la crise du multilatéralisme ont pu être débattus dans une ambiance de courtoisie générale. L’objectif affiché est d’offrir à la Francophonie une plus-value dans un monde en perte de repères — une ambition qui rime avec une attractivité croissante, comme en témoignent les demandes d’adhésion de l’Angola, du Chili, de la Nouvelle-Écosse (Canada) ou encore de la Polynésie française en tant qu'observateurs. Chypre et le Ghana ont quant à eux été promus comme membres de plein droit.
Lors ce sommet ont été adoptés trois textes centraux rappelant les engagements et détaillant les ambitions de la Francophonie, qui s’affiche ainsi comme une entité unie, regroupée autour d’un socle de valeurs communes.
Le premier est la « Déclaration du Sommet », jouant de cette unité supposée pour présenter la Francophonie comme un « espace privilégié de dialogue » engagé dans la défense des grands principes que sont la paix, la démocratie, les droits humains ou encore le climat. Y sont détaillées les ambitions centrales débattues lors des rencontres. La première consiste à mettre la langue française « au service d’un continuum éducation-formation-employabilité », en insistant sur l’importance de l’enseignement du français et en français, ainsi que sur la promotion d’une vision pluriculturelle de cette langue. La seconde ambition est de promouvoir l’innovation, en passant par un réexamen de la stratégie économique de la Francophonie pour la période 2020-2025, afin de la consolider en tant qu’ « espace de mobilité plus intégré » pour mieux en « exploiter les potentialités socioéconomiques », comme le précise la Déclaration.
Les 54 gouvernements et États membres ont ensuite tenu à exprimer leur sincère amitié envers le Liban, « pilier de la francophonie dans cette région ». En ces temps troublés pour le pays du Cèdre, l’OIF a publié à l'issue de cette rencontre une « Déclaration de solidarité avec le Liban » où elle exprime sa préoccupation partagée face à l’escalade de la violence dans la région et déplore les trop nombreuses pertes de vies innocentes. L’Organisation appelle à un cessez-le-feu immédiat et durable, ainsi qu’au respect en toutes circonstances du droit international et, en particulier, du droit international humanitaire.
Une position de principe à saluer, dont on peut toutefois douter de la sincérité. En Guinée équatoriale, au Cameroun, au Mali, en République centrafricaine et dans de très nombreux autres pays membres de l’OIF, les manquements au droit international humanitaire sont monnaie courante. Affirmer vouloir le faire respecter dans une déclaration de principe qui n’est en rien contraignante, tant politiquement que juridiquement, d’un côté, tout en se rendant coupable de violations avérées de celui-ci de l’autre, révèle un engagement pour le meilleur illusoire et pour le pire mensonger.
Cette dualité entre les déclarations et les actes illustre parfaitement les limites auxquelles sont confrontées les organisations similaires à l’OIF. Si construire un espace de dialogue privilégié pour y défendre des engagements partagés est une ambition louable, l’absence de signification politique, juridique et même parfois médiatique de ce type de rencontre en fait une coquille vide. Le troisième texte, portant sur la « Résolution sur les crises dans l’espace francophone », vient renforcer ce sentiment. L’OIF a lancé un appel en faveur d’un cessez-le-feu dans les conflits internationaux touchant son espace, notamment au Soudan, en République démocratique du Congo et en Ukraine. Si cette initiative semble, à première vue, empreinte de bonnes intentions, elle soulève des interrogations sur la réelle unité des pays francophones face à ces crises. Prenons l’exemple de la République centrafricaine qui, dirigée par un président ouvertement pro-Russe et protégé par la milice Wagner, a clairement adopté une position hostile à l'égard de la France et plus généralement, de l'influence occidentale. Peut-on alors sérieusement croire à la sincérité de cet appel au cessez-le-feu en Ukraine venant de cette partie de l'espace francophone ?