J'étais encore lycéenne lorsque le Prix littéraire NDS a été décerné pour la première fois en 2009. Ce jour-là, en uniforme d'écolière, j'assistais à la cérémonie au Palais de France, sans me douter que je ferais un jour partie du jury qui attribuerait ce prix. Quatorze ans plus tard, lorsqu’on m'a proposé de rejoindre le jury, je me suis souvenue de ce jour de 2009 avec bonheur et fierté. Puis j’ai été prise d’une certaine anxiété : comment allais-je procéde
Certes, de par ma profession, j'étais habituée à analyser et évaluer les récits d'un point de vue purement méthodologique. Mais cette approche ne suffisait pas pour accomplir cette tâche. Car en tant que lectrice de littérature, le plaisir littéraire est, avant tout, tout aussi importants que les méthodes et les techniques. Le prix décerné à un livre doit être une recommandation pour les autres lecteurs, une invitation au plaisir littéraire…
Les livres en compétition pour le Prix Littéraire NDS 2024 se sont révélés très instructifs pour moi en termes de tendances littéraires de ces dernières années. Je qualifie inéluctablement ce courant littéraire des récentes années de « victoire de la nature » : De pierre et d'os ; Croire aux fauves ; La Panthère des neiges et Le Journal intime d'un arbre… Tous ces récits s'éloignent désormais de l'humain au centre de l'intrigue pour donner voix à la nature, aux arbres et aux animaux. À ce stade, il serait juste de dire que cette démarche qui consiste à mettre la nature au centre et considérer l'humain comme une partie d'un tout, au même titre que tous les autres êtres vivants, est devenue une tendance dans les récits récents. Prendre conscience de l'égocentrisme de l'homme envers la nature et développer une fiction fondée sur cette prise de conscience représente un effort précieux, et je recommande vivement ces livres aux lecteurs.
Roman primé : La Maladroite, d’Alexandre Seurat
Ce récit se construit autour d’un fait divers. Il nous relate l'histoire de la violence subie par une petite fille nommée Diana de la part de sa famille, tout au long de sa courte vie jusqu'à sa mort. L’incipit du roman nous fait comprendre que nous nous apprêtons à nous plonger dans une histoire d'une charge émotionnelle très lourde. Cette émotion intense ne découle pas seulement du fait que l'histoire est basée sur un événement réel, mais aussi parce que nous savons que partout dans le monde vivent des enfants victimes de violence familiale et incapables de faire entendre leur voix.
Dans La Maladroite, le récit est polyphonique. C’est-à-dire que l’histoire nous est relatée du point de vue des enseignants, de la grand-mère, de la tante et d'autres personnes qui, d'une manière ou d'une autre, ont été témoins du drame. Cette polyphonie a une signification profonde pour le lecteur : tous ceux qui ont été témoins de l'histoire de Diana savent et ressentent qu'elle a été victime de violence. Ce « chœur » est convaincu que quelque chose de grave va arriver à Diana. Chacun essaie de « faire quelque chose » à sa manière. Pourtant, ces efforts se heurtent tantôt à la bureaucratie, tantôt à l'ignorance des gens ou aux mensonges de la famille de Diana. Tout le monde sait tout, mais personne ne peut rien faire. De ce point de vue, l’on peut dire que cette histoire constitue en quelque sorte une élégie dédiée à toutes les victimes de violence et ceux qui, même en essayant, ne peuvent rien faire pour les aider.
Lorsque j'ai commencé à lire La Maladroite, ce n'est pas seulement la tragédie poignante qui m'a subjuguée dans ce récit, mais aussi l’art du récit lui-même, structuré selon une technique de narration très précise. Bien évidemment, une histoire aussi émouvante aurait pu être racontée à la première personne, ou même du point de vue d’un narrateur externe ou omniscient. Mais ces perspectives n'auraient jamais permis au lecteur de ressentir cette impuissance collective face à la violence. Ainsi, en lisant ce livre, je puis dire que j'ai été marquée non seulement par l'histoire, mais aussi par la manière dont elle est racontée. Même si le roman choisi est peut-être trop pesant émotionnellement pour certains lecteurs, j'espère sincèrement qu'ils y trouveront un plaisir de lecture, et que l’histoire de Diana contribuera à les sensibiliser davantage à toute la « violence cachée » qui nous entoure.
Je tiens à remercier le directeur de notre lycée, M. Alexandre Abellan, de m'avoir fait confiance pour ce travail, et aussi les autres membres du jury, notamment mon amie Tara Civelekoğlu, qui, par leurs discussions animées, ont rendu ma première année au sein de ce jury très agréable. Enfin, j’aimerais également remercier Mme Mireille Sadège qui m'a toujours soutenue tout au long de ce processus. J'attends déjà avec impatience les livres de l'année prochaine !