Quand la consommation devient acte politique : la vague de boycotts en Turquie (Un article de Jules Pissembon)

​Explorer les rues d’Istanbul rime aujourd’hui avec la découverte de nombreux graffitis, stickers et affiches affirmant un soutien indéfectible à la cause palestinienne : célébration de symboles de la lutte, du drapeau national, et appels au boycott.

Par Aujourd'hui la Turquie
Publié en Décembre 2024

Forme de protestation politique non conventionnelle, légale et pacifique, le boycott constitue un outil central du répertoire d’action du mouvement pro-palestinien à l’international, comme il le fut pour lutter contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1950. Ne nécessitant aucun moyen matériel particulier et, surtout, n’impliquant aucune action controversée à l’heure d’une criminalisation croissante des voix compatissantes à l’égard de la Palestine dans les pays occidentaux, l’appel au boycott incite les témoins des massacres à Gaza — autrement dit, chacun d’entre nous à l’heure des réseaux sociaux — à aligner leurs valeurs éthiques et morales avec leurs choix de consommation. En choisissant de sanctionner les grandes entreprises qui investissent dans l’économie israélienne et ses colonies en Cisjordanie, les citoyens sont invités à prendre part, de manière indirecte mais déterminée, à la dénonciation de ces atrocités.

    Des plateformes telles que BoycottX, une application lancée en 2023 par le Français Chedy El Tabaa, permettent d’identifier les marques ciblées par des campagnes de boycott ou considérées comme complices de la politique israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Elles contribuent ainsi à une prise de conscience accrue des souffrances actuelles en Palestine et au Liban, tout en mettant en lumière le rôle de certains acteurs économiques occidentaux dans ce contexte. Le mouvement palestinien BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), en première ligne du boycott d’Israël et de ses partenaires depuis 2005, prône une action qui s’étend bien au-delà de la sphère économique, touchant également les domaines culturel, académique, militaire et sportif. À travers des actions de pression non violentes mais punitives, son objectif est d’isoler Israël autant que possible jusqu'à ce que ce dernier reconnaisse de manière concrète et sincère le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination.

    En Turquie, depuis le début des massacres à Gaza, une forme de boycott semble se structurer, notamment autour des enseignes américaines, devenues des symboles de la complaisance occidentale envers Israël. Fin octobre 2023, les produits Starbucks sont retirés de la vente dans les trains turcs ; le 6 novembre, le Parlement turc bannit de ses restaurants des marques telles que Coca-Cola et Nestlé, et de nombreuses municipalités annoncent ensuite des boycotts similaires. Boğaziçi, la plus prestigieuse université du pays, met également fin à toute collaboration académique avec les institutions israéliennes et les chercheurs israéliens qui ne critiquent pas les politiques de leur gouvernement. Parallèlement, des enseignes comme Starbucks, McDonald’s et Burger King sont vandalisées à Ankara, Istanbul, Adana et Diyarbakır, dans l'est du pays. Le 2 mai 2024, Ankara annonce finalement l’arrêt complet du commerce avec l’État hébreu, une décision réaffirmée par Omer Bolat, ministre du Commerce, le 2 novembre. Cependant, cette dynamique ciblant les partenaires présumés de la politique israélienne semble être impulsée par le haut, c’est-à-dire par les institutions étatiques ou le parti au pouvoir. Bien que les citoyens turcs soient solidairement engagés envers la cause palestinienne, ils continuent de fréquenter ces enseignes, qui restent souvent bondées malgré les appels au boycott. Pour que celui-ci devienne un levier de changement durable, il devra non seulement toucher un public plus large de sympathisants, mais aussi s’inscrire dans la durée. D’où l’importance de sensibiliser sur le caractère éminemment politique de la consommation.