« Arrivés jeunes et motivés, largués usés et abîmés : vous nous devez plus que des discours et de la charité. » Ce message, tagué près de l'usine Michelin de Cholet, résume l'amertume des ouvriers au lendemain de l’annonce de fermeture par le groupe. Le 5 novembre, Michelin a confirmé les rumeurs de fermeture définitive des sites de Vannes et de Cholet. Le géant du pneumatique, symbole
Les employés apprennent la nouvelle pour la première fois à la télévision. Le 3 novembre, interviewé sur France 3, Fabien Roussel (PCF) annonce la fermeture imminente des usines de Cholet et Vannes, menaçant 1 400 emplois. Angoisse et colère gagnent les rangs de Michelin : si des rumeurs circulaient déjà depuis plusieurs semaines dans les ateliers, les responsables se voulaient rassurants. L’annonce officielle n’est cependant faite que deux jours plus tard, le mardi 5 novembre au matin. Depuis, les travailleurs sont abandonnés à eux-mêmes : aucun représentant officiel n’a été désigné pour discuter avec eux des répercussions de la fermeture sur la région ou sur leurs propres parcours. Les membres de la direction nationale, eux, n'ont pas pris la peine de se rendre jusqu’à l’usine de Cholet, préférant s’arrêter à quelques kilomètres pour un point presse où ils ont affirmé « assumer ce choix ». Aux ouvriers, une simple feuille A4 a été distribuée, précisant les conditions financières du plan de licenciement envisagé par le groupe. Avant les négociations syndicales, une seule indemnité de 35 000 euros plus 500 euros par année d’ancienneté avait été proposée, suscitant une vive déception chez les employés. Les reclassements proposés par Michelin suscitent également la méfiance des salariés, qui y voient une solution temporaire, d’autant que les travailleurs transférés de la Roche-sur-Yon à Cholet en 2019 se retrouvent une nouvelle fois remerciés.
À l'échelle nationale, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer une stratégie délibérée de Michelin visant à privilégier les sites à faible coût et à maximiser les marges, comme le regrette Gilles Bourdouleix, maire de Cholet. André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme, critique également le choix de l'entreprise de se recentrer sur le haut de gamme au détriment de la production de masse. En outre, Michelin a largement répercuté la hausse des prix des matières premières et de l’énergie, quitte à sacrifier certaines ventes. Résultat : des bénéfices record en 2023 (2 milliards d’euros), mais une production moins soutenue. Florent Menegaux, président du groupe, justifie cette stratégie sans ambiguïté : « L’équation n’était plus tenable, en raison de la chute des ventes automobiles en Europe, de la concurrence chinoise et de la perte de compétitivité en Europe depuis la crise de l’énergie. » Selon lui, « aujourd’hui, l’Europe est deux fois plus chère que la Chine, [...] et même quatre fois avant la baisse du coût de l’énergie. » Cette position, difficile à accepter pour les travailleurs français, contraste fortement avec les engagements passés de Michelin, autrefois perçu comme un champion du capitalisme responsable et social en France, et parmi les premières entreprises à mission du pays.
Cette position d’un groupe industriel de l’envergure de Michelin est douloureuse, d’autant plus que l’entreprise affiche une excellente santé financière. En 2024, Michelin verse des sommes record à ses actionnaires – plus de 1,4 milliard d’euros. Rappelons également qu’elle bénéficie massivement des aides publiques : 65 millions d’euros d’exemptions fiscales au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), 42 millions via le CIR en 2023, et plusieurs millions d’euros en 2020 pour le chômage partiel. Ce contraste entre des performances financières exceptionnelles, un soutien public massif et des plans sociaux entraînant la suppression de milliers d’emplois, suscite des interrogations et alimente une méfiance croissante envers ces grandes entreprises. M. Bourdouleix est catégorique : « Il y a trop d’aides publiques aux entreprises. [...] Une fois les subventions accordées, il reste très peu de leviers pour récupérer cet argent public. Michelin s’est enrichi et se moque du sort des salariés. Ce sont des voyous. »
Le 5 novembre, jour de l’annonce des fermetures d’usines, le Premier ministre Michel Barnier a déclaré vouloir « savoir » comment les groupes avaient utilisé « l’argent public qu’on leur a donné ». Le lendemain, Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement, a affirmé que l’exécutif n’avait aucune intention de demander le remboursement des aides publiques versées au groupe Michelin. Une déclaration qui a enflammé les débats sur la dérive du CIR à l’Assemblée nationale. Réformé en 2008 pour attirer de la valeur ajoutée industrielle dans le pays, le CIR a vu ses dépenses exploser sans réellement stimuler l’emploi. Les contrôles sont rares, peu rigoureux et facilement contournables. Le 6 novembre, Marianne Maximi, députée LFI de Clermont-Ferrand – berceau historique de Michelin – a interrogé les élus nationaux sur la nécessité d’imposer des contreparties aux grandes entreprises qui « perçoivent des aides importantes, mais laissent sur le carreau des centaines, voire des milliers de familles ». Elle a souligné qu’en dépit des millions d’euros de subventions publiques, l’effectif Michelin à Clermont-Ferrand est passé de plus de 30 000 salariés dans les années 70 à seulement 9 000 aujourd’hui. La députée a également dénoncé le double standard entre les contrôles appliqués aux foyers bénéficiaires d’aides sociales et ceux (quasi inexistants) imposés aux grandes entreprises : « On exige des ménages qu’ils remboursent les aides s’ils ne remplissent pas les conditions requises, mais on n’a aucune exigence vis-à-vis des grandes entreprises. Voilà le vrai problème aujourd’hui. » Alors que l’exécutif prône des politiques d’austérité pour financer ces largesses fiscales envers le capital, ce sont les ménages et les services publics qui se voient contraints de se serrer la ceinture, ce qui affecte sensiblement le niveau de vie moyen des Français. Une réalité qui pourrait bien pousser les pouvoirs publics à exiger des contreparties en échange de ces milliards d’aides.