Le 2 décembre, le tribunal du Groenland statuait pour la sixième fois sur le maintien en détention provisoire de Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd, célèbre pour ses spectaculaires opérations contre la chasse à la baleine. Sa détention était alors prolongée de deux semaines.
Watson avait été interpellé le 21 juillet dernier dans le port de Nuuk, capitale du Groenland, alors que son bateau, le John-Paul-Dejoria, faisait escale pour se ravitailler avant de mettre le cap sur le Pacifique Nord pour une mission visant le Kangei Maru, un nouveau navire-usine japonais spécialisé dans la chasse à la baleine. En cas d'extradition, il risquait quinze ans de prison pour son rôle dans l'opération contre le Shonan Maru 2 en 2010, au cours de laquelle un marin japonais avait été blessé. Watson continuait de clamer son innocence et affirmait disposer de vidéos prouvant qu’il n’était pas responsable des faits reprochés. Cependant, la Cour de Nuuk refusait d’examiner ces preuves. En 2012, le Japon avait émis une notice rouge auprès d’Interpol pour demander son arrestation à l’échelle internationale, une demande largement ignorée par les autorités européennes jusqu’à présent. Le Danemark avait néanmoins choisi d’agir en juillet 2024, procédant à son arrestation, ce qui plongeait le royaume nordique dans un dilemme délicat. Tokyo pressait pour l’extradition de Watson, le Groenland et les îles Féroé lui en voulaient aussi. Mais en France, où il cherche l’asile politique, ses soutiens se multipliaient. De nombreuses ONG internationales faisaient aussi pression pour sa libération. Le ministre danois de la Justice, Peter Hummelgaard, qui affirmait ne pas vouloir politiser l’affaire tout en reconnaissant des intérêts divergents, a finalement statué le 17 décembre : l’extradition est refusée, Paul est libre. Décryptage des enjeux et des contours de cette affaire.
En 2019, après son retrait de la Commission baleinière internationale (CBI), le Japon a autorisé la reprise de la chasse commerciale, illustrant sa méfiance envers les pressions internationales et les ONG, perçues comme du « néo-colonialisme culturel ». La défense de la chasse à la baleine constitue également un outil politique et électoral puissant au Japon. Ainsi, l'éventualité de voir Paul Watson finir sa vie dans une cellule japonaise serait un double accomplissement pour ce pays : d’une part sur la scène internationale, en mettant en lumière la résilience culturelle des Japonais ; et d’autre part sur le plan national, en satisfaisant l’opinion publique. Cette situation justifie la pression constante exercée sur les autorités danoises pour obtenir l’extradition de l’écologiste canadien. Par ailleurs, les intérêts économiques du Danemark sont également en jeu : des contrats de plusieurs millions d’euros pour le développement de parcs éoliens au Japon, ainsi que d’autres accords commerciaux, figuraient sur la table des négociations. L’extradition ayant été refusée, il reste à voir quelles en seront les conséquences.
En parallèle, les territoires autonomes du Groenland et des îles Féroé plaidaient pour une condamnation sévère de Watson, et la prudence du gouvernement danois reflète ses relations complexes avec ces régions. C'est la police féringienne qui a alerté Nuuk de l’arrivée de Watson, espérant obtenir son transfert afin de le juger pour ses actions contre les baleiniers de l'archipel. En effet, Paul Watson s’engage avec Sea Shepherd aux îles Féroé contre les massacres de dauphins et de baleines depuis 1986, qualifiant ces pratiques de « plus grande et plus cruelle chasse sportive du monde » en 2010. Jusqu’à dix fois par an, les Féroïens organisent des battues et tuent des centaines de cétacés à coups de couteau sur les plages – entre 1000 et 1500 mammifères marins sont tués chaque année, faisant de ce massacre le plus important d’Europe. Bien que cette pratique soit illégale en eaux danoises, le Danemark étant signataire des conventions de protection des mammifères marins, elle demeure autorisée dans ces territoires autonomes que Copenhague hésite à contrarier. Ces deux régions nourrissent un fort sentiment indépendantiste et anticolonialiste, un facteur qui complique la position du Danemark. Conscient des enjeux économiques – notamment la présence d’une flotte de pêche parmi les plus importantes au monde – le Danemark doit jouer un rôle d'équilibriste, feignant de tenir compte des revendications de ses territoires autonomes. L’arrestation de Paul Watson par le Danemark s’inscrivait ainsi comme un message fort envoyé à ces régions, que le pays ne peut se permettre de négliger. Il est à prévoir que leur réaction à la libération de Watson sera sévère.
L’Élysée, de son côté, déclarait le 23 juillet que le Président « [suivait] la situation de près » et qu’il « serait intervenu » auprès des autorités danoises pour éviter l’extradition. L’opinion publique, tant française qu’européenne, se montrait largement favorable à la libération de Paul Watson. Son retour à Paris, auprès de sa famille, n’est désormais plus qu’une question de temps – une victoire pour la diplomatie française.