Pierre Palmade condamné à cinq ans de prison : l'invisible statut juridique du fœtus au cœur du procès (Un article de Jules Pissembon)

Le 13 février 2023, les secours interviennent en urgence près de Villiers-en-Bière, un village de Seine-et-Marne. Pierre Palmade, célèbre comédien de 56 ans, est au volant sous l’emprise de stupéfiants lorsqu’il percute violemment un autre véhicule. Le bilan est tragique : trois blessés graves. Le pronostic vital de Yüksel Yakut, de Devrim, son fils de six ans, et celui de sa belle-sœur alors enceinte, Mila, sont engagés. Le drame prend une dimension encore plus t

Par Aujourd'hui la Turquie
Publié en Janvier 2025

Un an et demi plus tard, le 20 novembre 2024, Pierre Palmade comparaît devant le tribunal de Melun pour « blessures involontaires », une qualification aggravée par la prise de stupéfiants en récidive. Celle-ci suscite l’indignation des victimes, qui la jugent inappropriée au regard des conséquences dramatiques de l’accident. Le procès est, depuis, au cœur d’un débat passionné dans la sphère juridique autour de la gravité des qualifications retenues dans ce type de dossier.

Le comédien risquait une peine pouvant aller jusqu'à 14 ans de réclusion, assortie d'une amende de 200 000 euros. Lors du procès, Pierre Palmade a rapidement pris la parole pour présenter ses excuses aux victimes et revenir sur sa dépendance aux drogues. Il a précisé qu’il ne cherchait ni à se dédouaner ni à minimiser sa responsabilité, mais simplement à « expliquer ». « Ma toxicomanie a détruit ma vie. J’ai gâché la vie des gens et leur santé. Je suis obsédé par les conséquences de cet accident. Je m’endors et je me lève avec ça. Toute ma vie est un gâchis à cause de la drogue », a déclaré l’humoriste avec gravité. Interrogé sur sa décision de conduire malgré son état, il a reconnu qu'il était « très difficile de rationaliser quelqu’un qui est drogué depuis trois jours ».

Maître Mourad Battikh, avocat des parties civiles, a lui tenu à rappeler une réalité autrement plus compliquée du côté des victimes, dont la vie a été irrémédiablement bouleversée par l’irresponsabilité de Palmade. La violence du choc a littéralement broyé les corps : Yüksel, le conducteur, a dû subir pas moins de huit interventions chirurgicales et éprouve encore de grandes difficultés à marcher ; son fils Devrim, autrefois décrit comme un enfant vif et dynamique, devra vivre avec des séquelles irréversibles : balafré au crâne et à la mâchoire, équipé de plaques métalliques dans la bouche, il se fatigue rapidement, ne supporte plus ni le froid ni le soleil, et s’isole progressivement, refusant de sortir ; Mila, quant à elle, souffre de polytraumatismes sévères, et l’accident a mis un terme prématuré à sa grossesse.

C’est d’ailleurs cette perte tragique, celle du fœtus de Soline, qui constitue l’un des enjeux centraux de ce procès. En mai dernier, la juge d’instruction avait refusé de renvoyer Pierre Palmade devant les tribunaux pour homicide involontaire, privilégiant la qualification de  « blessures involontaires ». Elle avait justifié sa décision en rappelant qu’au regard de la loi française, un fœtus n’est pas considéré comme une personne. Ce point-là, la famille ne l’accepte pas. La veille du procès, Maître Battikh dénonçait cette position au micro de l’émission C à vous, parlant d’une « absurdité juridique ». Il regrettait que le droit français, dans ce cas précis, semble affirmer que « Mila n’a jamais été enceinte, que ce fœtus n’a jamais existé », et déplorait qu'« on rende invisible cette histoire de grossesse ».

En 2001, la Cour de cassation avait déjà statué sur la question, s’appuyant sur une interprétation stricte du Code pénal. Celui-ci précise que « le fait de causer [...] la mort d’autrui » constitue un homicide, mais la question demeure : peut-on considérer un fœtus comme « autrui » ? Dans ce type d'affaires, tout repose sur le moment où survient la mort du fœtus. Une mort in utero implique que l’enfant n’a jamais été vivant et, par conséquent, qu’il n’a jamais acquis de personnalité juridique. Cela rend impossible la qualification d’homicide involontaire. Si plusieurs tribunaux ont tenté, par le passé, de faire évoluer cette interprétation, leurs décisions ont systématiquement été retoquées par la Cour de cassation, qui reste ferme sur sa position. Dans le cas de Mila, le fœtus n’a pas respiré à sa naissance. Soline étant mort-née, la reconnaissance de son statut de personne, et donc la possibilité de qualifier les faits d’homicide involontaire, est juridiquement exclue. Si le fœtus avait respiré ne serait-ce qu’un instant après la césarienne, la qualification aurait pu évoluer. D’ailleurs, en 2003, la Cour avait ouvert la voie à une responsabilité pour homicide involontaire lorsque l’infraction prénatale provoque la mort d’un enfant né vivant mais décédé peu après. Une telle qualification aurait ici exposé Pierre Palmade à une peine de 20 ans de réclusion. Cette interprétation, cependant, ne convainc pas les parties civiles. « Il existe un lien de causalité direct entre la mort de cet enfant et l’accident. Et juridiquement, on n’en tire aucune conséquence », déplore Maître Battikh, dénonçant une impasse judiciaire qui ne reconnaît pas pleinement la gravité des faits.

Le 20 novembre au soir, après 90 minutes de délibéré, le président du tribunal correctionnel de Melun rend finalement son jugement : Pierre Palmade est déclaré coupable de « blessures involontaires aggravées », et est condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis probatoire, et deux ans ferme, assortis d’un mandat de dépôt à effet différé et d’une exécution provisoire. Cette sentence, qui inclut des obligations de soins, d’indemnisation et de travail, est conforme aux réquisitions de la procureure. Le lendemain du procès, Maître Mourad Battikh, au micro de RTL, exprime la satisfaction de la famille, soulignant qu’elle est « satisfaite du résultat, de l’audience et du temps qui leur a été accordé ». Il précise que cette décision « [lui] semble juste », tout en rappelant que son véritable combat reste le changement du statut juridique du fœtus. « Il faut revenir sur cette jurisprudence poussiéreuse de 2001 qui dit absolument n’importe quoi », déclare-t-il. « Le législateur doit se saisir de cette question et accorder un statut juridique à l’enfant à naître. »