Le 22 novembre, dans la salle de conférence de l’Hôpital de la Paix à Istanbul, une institution française fondée en 1858, l’Association culturelle turco-française (Türk Fransız Kültür Derneği) a organisé une conférence pour célébrer son 75ᵉ anniversaire. Présentée par Gisèle Durero Köseoğlu, une autrice locale reconnue, cette conférence avait pour thème « De l’Orient à l’Occident, l’épopée des Lascaris ».
La conférencière, née à Cannes et installée à Istanbul depuis près de 40 ans, est professeure de Lettres et autrice de nombreux ouvrages historiques consacrés à la ville. Elle présentait ici son dernier livre : Lascaris, le sang de Byzance, de Constantinople à Nice, publié aux éditions Ovadia. Les Lascaris, une lignée emblématique de la noblesse byzantine et maralpine, incarnent un lien unique entre l’histoire turque et française. Ce thème, en parfaite résonance avec les objectifs de l’association organisatrice, contribue à renforcer l’amitié turco-française qu’elle s’emploie à promouvoir. Cette trajectoire fascinante a profondément intrigué Gisèle Durero Köseoğlu, dont le parcours personnel reflète certains des lieux emblématiques de l’histoire des Lascaris. Originaire de Tende, ancienne place forte de cette lignée, elle y ancre une partie de ses racines familiales, tandis qu’Istanbul, aujourd’hui sa ville d’adoption, lui offre une nouvelle perspective. Passionnée par le patrimoine des Alpes-Maritimes, où elle a grandi et poursuivi ses études, ainsi que par l’histoire stambouliote, l’autrice a trouvé dans l’épopée des Lascaris une inspiration naturelle pour son dernier ouvrage. Dès 2017, Gisèle Durero Köseoğlu s’est lancée dans une vaste collecte de sources, explorant notamment les archives de Turin transférées à Tende après son rattachement à la France. En parallèle, elle a parcouru les différents lieux évoqués dans son roman, s’immergeant dans les décors de cette épopée. Bien que le récit suive en grande partie le fil des grands événements historiques, l’autrice a pris quelques libertés créatives, imaginant une famille de serviteurs accompagnant les Lascaris tout au long de leur périple. Elle précise : « C’est un roman, pas un livre d’histoire. »
Parfaite incarnation des revirements de l’Histoire, l’épopée des Lascaris commence dans le chaos suivant le sac de Constantinople en 1204, lorsque l’effondrement de l’Empire byzantin permet à Théodore Ier Lascaris de fonder un empire en exil à Nicée. Cette dynastie prospère jusqu’à la reprise de Constantinople en 1261 par Michel VIII Paléologue, qui les déchoit de leur pouvoir. Contraints à l’exil, plusieurs membres de la famille trouvent refuge en Europe, dont Eudokia, fille de Théodore II, qui épouse le comte de Vintimille et contribue à établir une nouvelle lignée. Installés à Tende, les Lascaris subissent les rivalités liées à la position stratégique de leur comté, situé sur la route du sel entre mer et montagne. Affaibli, le comté est vendu en 1581 à la maison de Savoie, marquant un nouveau coup dur pour la famille. Repliés à Nice, les Lascaris y construisent le somptueux palais qui porte leur nom, grâce à Jean-Baptiste Lascaris, financé par son parrain, grand maître de l’Ordre de Malte. Mais ce faste précipite leur ruine, et la dynastie s’éteint au XVIIIe siècle, son dernier membre fuyant la région en 1792. Peu après, les sans-culottes pillent le palais, scellant la fin de cette aventure bien singulière.
En rachetant le palais en 1942, en le classant monument historique en 1946, puis en le réhabilitant en 1970 pour en faire un musée, la Ville de Nice a joué un rôle pionnier dans la résurgence de la mémoire perdue des Lascaris. Ce renouveau s’est enrichi grâce au travail de spécialistes et d’auteurs, notamment Mme Durero Köseoğlu, dont le roman, publié en mai 2024 dans une première édition française, a déclenché un véritable engouement intellectuel. « C’est une mode qui se lance », souligne l’autrice, alors que des événements thématiques prennent forme à Tende et à Nice pour mettre en lumière l’histoire fascinante de cette dynastie. De nouveaux auteurs s’emparent également du sujet pour explorer, à travers le prisme de cette dernière, le lien entre la Turquie et la France.
Une nouvelle édition de l’ouvrage, récemment publiée en Turquie, est désormais disponible dans les librairies francophones locales. Reste à traduire le livre en turc pour que l’épopée extraordinaire des Lascaris continue de rayonner bien au-delà des frontières.