Soudan : une crise humanitaire dévastatrice et l'ascension d'Ankara comme acteur régional (Un article de Jules Pissembon)

​L’International Rescue Committee a qualifié en décembre dernier la situation au Soudan de « pire crise humanitaire jamais enregistrée » : le pays est au bord de la famine, avec douze millions de personnes déplacées et plusieurs dizaines de milliers de morts recensés.

Par Aujourd'hui la Turquie
Publié en Février 2025

Depuis avril 2023, un conflit sanglant oppose les Forces armées soudanaises, dirigées par Abdel Fattah al-Burhan, aux rebelles des Forces de soutien rapide (FSR) menées par Hemetti. Le 7 janvier, ces derniers ont été accusés de crimes de génocide par Joe Biden et son administration, qui ont annoncé des sanctions ciblées contre les responsables du groupe et leurs entités affiliées. Entre les belligérants, le dialogue s’est rapidement rompu, les tensions étant exacerbées par des accusations mutuelles d’ingérence extérieure. Le gouvernement soudanais, soutenu par l’armée d’al-Burhan, a, à plusieurs reprises, accusé les Émirats arabes unis (EAU) d’armer les FSR – des allégations systématiquement démenties par Abou Dhabi. En décembre, Khartoum dénonçait l’envoi de drones fabriqués aux EAU et utilisés par les FSR à partir du Tchad voisin.

Au même moment, Recep Tayyip Erdoğan s’entretenait avec le général al-Burhan, proposant une médiation turque pour apaiser les différends entre le Soudan et les Émirats arabes unis, dans l’objectif de « rétablir la paix et la stabilité » dans la région, selon un communiqué de la présidence turque. Cette initiative a été bien accueillie par al-Burhan, qui y voit une reconnaissance de sa légitimité. Lors d’une réunion à Port-Soudan le 4 janvier, le général a confirmé « l’accueil favorable des dirigeants soudanais » à l’offre turque. Quelques jours plus tard, dans une déclaration officielle publiée début janvier, les EAU ont également salué les « efforts diplomatiques » de la Turquie. L’efficacité d’Ankara dépendra de sa capacité à dépasser le cadre de simples négociations, en tirant parti de sa présence stratégique en Afrique de l’Est pour mobiliser d’autres acteurs régionaux et ainsi renforcer sa crédibilité sur la scène internationale.

Cette suractivité diplomatique de la Turquie au Soudan témoigne de sa volonté assumée de consolider son influence sur le continent africain. La Turquie multiplie les initiatives sur tous les fronts : elle a été une force motrice dans l’opposition au régime d’al-Assad en Syrie, a joué le rôle de médiateur stratégique entre la Somalie et l’Éthiopie pour amorcer un rapprochement historique à la mi-décembre, et ambitionne désormais de se poser en faiseur de rois au Soudan. Cette position privilégiée s’explique, d’une part, par le soutien d’Erdoğan aux figures islamistes de l’ancien régime d’Omar al-Bashir, alignées aujourd’hui sur les Forces armées soudanaises, en raison notamment de ses affinités avec l’islamisme politique. D’autre part, elle est renforcée par le discrédit grandissant des FSR, accusées de perpétrer un nettoyage ethnique d’une brutalité sans précédent lors de leurs conquêtes territoriales, rappelant les massacres du Darfour au début des années 2000. En cultivant ces alliances et en exploitant les failles laissées par d’autres puissances internationales, la Turquie affirme non seulement son statut d’acteur géopolitique majeur, mais se positionne également comme un partenaire économique incontournable pour la future reconstruction du Soudan.

La résolution potentielle de la crise soudanaise semble donc se dessiner par le haut, marginalisant la population engagée dans un processus de réconciliation et les forces révolutionnaires encore actives sur le terrain. Ce scénario risque de réhabiliter les figures de l’ancien régime, longtemps honni par une grande partie des Soudanais. Dans ce contexte, espérer de réels progrès en matière de droits sociaux et démocratiques relève de l’utopie. Restons toutefois optimistes quant à la possibilité d’une reconstruction efficace des structures étatiques d’un pays ravagé par des années de conflits et d’instabilité.