Demain

« Chaque homme politique doit avoir un monde au-delà de la politique. De temps à autre, il doit pouvoir entrer dans cet autre monde et examiner la politique de l'extérieur. Il doit se souvenir que la politique n'est pas une activité abstraite, que son essence concerne l'humain, et que son but principal est la liberté et le bonheur des individus. Un homme politique doit posséder une perspect

Par Ali Türek
Publié en Février 2025

Il avait cette perspective, cette occupation. Il avait été ce poète, cet homme public de premier ordre, ce premier ministre. C’était l’homme à la « grosse moustache et cheveux noirs même à l'âge avancé » comme le décrivait Libération. C’était tout simplement Bülent Ecevit, figure majeure de la politique turque, premier ministre à plusieurs reprises entre 1974 et 2002.

Ecevit avait gouverné dans des moments de grandes turbulences. En 1974, sa brève période au pouvoir était particulièrement marquée par la décision d'envoyer des troupes à Chypre. Après le coup d’État militaire de 1980, il était emprisonné et interdit de faire de la politique. Son dernier mandat entre deux millénaires était marqué par l'arrestation de l’ennemi public numéro un de l’État en 1999 et les réformes visant la modernisation et l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le pays, frappé de plein fouet par la grave crise économique de 2001 et très affaibli, Ecevit allait laisser les clés du pouvoir, devenant ainsi le dernier premier ministre d’une certaine Turquie avant que le pays n’entame une toute nouvelle ère politique. 

Malgré tout, son nom avait su marquer la vie démocratique de toute une époque. C’était, après tout, son nom à lui qui était inscrit sur les montagnes tout au long de l’Anatolie dans les années soixante-dix comme un ultime symbole de l’espoir. Ecevit, sa grosse moustache et sa chemise bleue, était l’incarnation même de cet espoir pour des millions de gens. 

Grand militant de la gauche démocratique, il était un fervent défenseur des droits sociaux, de la laïcité et des libertés démocratiques. Il s’était peut-être souvent trahi en s’alliant avec des partis nationalistes ou conservateurs pour former des gouvernements, mais la recherche de la justice sociale et un certain humanisme intransigeant avaient toujours été sa boussole. 

Après s'être retiré de la politique en 2004, il allait retrouver son monde à lui, son occupation préférée : la poésie et la traduction des auteurs tels que Rabindranath Tagore et T. S. Eliot. Dans son poème Demain, Ecevit exprimait, à merveille et avec une sensibilité unique, sa vision du temps et de l’espoir. « Même si nous ne voyons pas si loin / On le sent au vol des oiseaux / Quelque chose va se passer demain / Moins important que le lendemain / Plus important qu’aujourd’hui ».

Quelque chose va se passer demain et il nous manque. Plus qu’hier, moins que demain…