Dans les hauteurs de Grasse, baignées par un timide soleil d'hiver, nous rencontrons Leïla Tonnerre, candidate NFP-LFI de la deuxième circonscription des Alpes-Maritimes pour les législatives anticipées de juillet 2024, et désormais figure de proue de l’antiracisme dans le département.
Descendante d’immigrés algériens, Leïla Tonnerre grandit à Grasse avant de partir étudier la sociologie et le droit public à Nice. « Je suis la première de ma famille à aller aussi loin à l’université », explique-t-elle fièrement. Une expérience qu’elle qualifie de salvatrice, lui ayant donné les outils nécessaires pour mieux comprendre son environnement : « Pourquoi, pour moi et pour ceux qui me ressemblent, est-ce si difficile ? ». Dix-huit ans après son départ, ponctués par plusieurs missions en tant que conseillère principale d'éducation (CPE) dans la région, elle revient s’installer dans le centre-ville de Grasse, un quartier populaire, et décide d’y scolariser sa très jeune fille. C’est le point de départ de son engagement : Tonnerre, reprenant la formule de l’essayiste Fatima Ouassak, « L’école, c’est la guerre », dénonce une école devenue un « ghetto social, voire ethnique », victime de sous-investissements publics et d’un abandon par les classes moyennes et supérieures grassoises. En se mobilisant, elle remporte quelques victoires symboliques et prend conscience que sa voix peut trouver une place dans le paysage local. En parallèle, elle s’engage au sein du Conseil Citoyen et fonde son association avec pour objectif de promouvoir « l’éducation populaire, l’éveil des foules et de rendre leur dignité à ceux à qui elle est refusée ». L’association organise des rencontres où interviennent des professeurs de sociologie ainsi que des figures grassoises descendantes d’immigrés et ayant réussi sur le marché de l’emploi. Leïla Tonnerre déplore que leurs parcours « incroyables », soient « invisibilisés dans le centre-ville ». Elle affirme se reconnaître dans ces profils, se qualifiant elle-même de « transfuge de classe » et ajoutant : « J’ai des diplômes, mais je n’ai jamais réussi à trouver ma place dans cette ville, nulle part. »
C’est en juin 2024, à l’occasion des législatives anticipées, qu’elle va enfin trouver cette place. Figure citoyenne reconnue, liée aux groupes militants par son travail associatif, elle est investie par La France Insoumise. Si la candidate semble avoir souffert des tentatives d’intimidation de la part d’élus locaux, de plaintes pour diffamation et du mépris lié à sa condition de femme racisée, elle se réjouit toutefois du soutien extraordinaire qu’elle a reçu. Elle semble émue à l’idée de « se sentir enfin à sa place » et déclare : « Je défendais des valeurs qui m’importent, j’étais la voix de ceux qui n’en ont pas, je parlais du racisme, et à Grasse, c’est très important. » Avouant toutefois que promouvoir un narratif antiraciste est complexe dans la ruralité maralpine, elle affirme que « de fait, [son] visage est déjà un message antiraciste ». Pendant la campagne, elle développe un discours sur l’enclavement, l’isolement et la précarité, des réalités qui touchent à la fois la ruralité et les quartiers populaires. Défaite au second tour avec 38,3 % des voix, Leïla Tonnerre explique que la création du Collectif Contre-Attaque Antiraciste en septembre s’imposait après le scrutin afin de continuer de parler d’antiracisme, « parce qu’on est attaqués », précise-t-elle. Rapidement, le Collectif fait parler de lui : saisi par la situation de Carole, grassoise d’origine camerounaise qui subit un harcèlement raciste de la part de ses voisins depuis plus de quatre ans et voit ses plaintes disparaître ou être classées sans suite, le Collectif s’organise. Le 7 décembre, une manifestation antiraciste est organisée dans les rues de Grasse. « C’était historique », se félicite la Grassoise. « On criait dans la rue : “Grasse, Grasse, ça suffit, le racisme est un délit.” Pour moi, enfant du pays, c’était une victoire d’être là », nous confie-t-elle, visiblement émue. Carole subit toujours du harcèlement, et un premier procès aura lieu le 5 mars. Le Collectif s’y rendra et organise une manifestation en son soutien au début du mois. Cette proactivité de Leïla Tonnerre sur les questions d’antiracisme s’inscrit presque, selon ses mots, dans une « démarche d’autodétermination ». « Ça y est, il faut y aller ! On a fait des études, on a vu nos parents se faire humilier, mépriser, et maintenant c’est à notre tour ; peu importe notre statut, ça suffit », déclare-t-elle. Le Collectif s’engage également dans un travail de mémoire nécessaire à Grasse, en demandant notamment l’installation d’une plaque commémorative dans le centre-ville, afin de ne pas oublier l’horreur que furent les ratonnades de 1973. Galvanisée par ces nombreuses victoires et convaincue de la nécessité d’un contre-narratif antiraciste dans une région historiquement dominée par la droite, Leïla Tonnerre souhaite désormais être en mesure de présenter une liste solide aux élections municipales de 2026. « Moi, j’y vais ! » s’exclame-t-elle avec enthousiasme.