Élisabeth de Castex, chercheuse en philosophie et en éthique appliquée, a publié en décembre dernier, sous l’égide de la Fondation pour l’innovation politique, un ouvrage intitulé L’utérus artificiel et la reproduction humaine. Réimaginer ses formes bouleverse les fondements de nos sociétés modernes, ouvre la voie à des transformations profondes de nos modèles sociaux et invite à une réflexion collective, sincère et
L’autrice entame son propos en retraçant les étapes clés des discussions autour du contrôle potentiel de la reproduction. Dès l’Antiquité, Platon, dans La République, envisageait déjà l’idée de façonner les générations futures à travers une reproduction sélective. Il aspirait ainsi à favoriser l’émergence d’une classe dirigeante idéale. Cette vision ne s’éteint pas avec les penseurs antiques ; elle prend une dimension centrale au sein du mouvement eugéniste, apparu au XIXe siècle. Ce courant, qui prône l'amélioration supposée de la « race humaine » par le contrôle de la reproduction, a servi à justifier certains des pires abus de l’histoire contemporaine ‒ rappelant que les avancées scientifiques ne s’inscrivent pas toujours au service de nobles causes. Cette idée a également été largement explorée dans la littérature, notamment par Aldous Huxley dans son œuvre emblématique Le meilleur des mondes, où il dépeint une dystopie où un contrôle accru de la natalité s’accompagne d’une domination sociale totale.
Les scientifiques modernes ont désormais pour objectif d’élargir les possibilités en matière de procréation et d’apporter des solutions aux problèmes d’infertilité. Cultiver des ovules et des spermatozoïdes en laboratoire pourrait bientôt devenir une réalité. L’autrice souligne que, bien qu’on ne soit qu’aux prémices de l’application de ces techniques sur l’humain, il est fort probable que des gamètes humains créés en laboratoire voient le jour d’ici la prochaine décennie. Parallèlement, les utérus artificiels promettent de révolutionner notre conception de la grossesse et de la naissance. Ces dispositifs pourraient offrir des solutions inédites face à l’infertilité ou aux risques liés aux naissances prématurées. Si, à ce jour, un utérus artificiel ne permet pas encore de mener une grossesse à terme, les avancées récentes ont déjà permis de sauver des enfants nés à un stade de prématurité critique, témoignant du potentiel extraordinaire de ces innovations médicales.
Toutefois, Élisabeth de Castex rappelle que chaque avancée dans les techniques de reproduction s'accompagne inévitablement de défis éthiques majeurs. Dans un monde où la grossesse deviendrait obsolète, comment redéfinirions-nous les structures de genre ? Et les dynamiques familiales ? Qu'en serait-il même de la notion de parentalité ? D’un côté, une telle révolution technologique pourrait affranchir les femmes du poids physique et psychologique de la grossesse, réduire les risques sanitaires et favoriser une égalité accrue dans les rôles de genre. Mais, à l'inverse, cette innovation pourrait exacerber les inégalités et figer les différenciations entre les sexes, en ancrant davantage l'idée que les femmes sont fondamentalement définies par leur capacité biologique à enfanter. Selon une logique productiviste, la grossesse peut être perçue comme un handicap à éliminer, permettant ainsi aux femmes de suivre des trajectoires professionnelles linéaires comparables à celles des hommes. Ces technologies, à la croisée de la libération et du conservatisme, possèdent un pouvoir déterminant : celui de remodeler les structures sociales ou, au contraire, de les pérenniser. La structure familiale traditionnelle tend à perdre sa centralité, nous incitant à repenser les notions de parenté et les dynamiques des liens familiaux. Les familles monoparentales et les couples de même sexe pourraient désormais avoir des enfants biologiques. Parallèlement, des questions juridiques complexes émergent, et nécessiteront une réflexion approfondie afin d’éviter toute forme de discrimination potentielle.
Élisabeth de Castex le martèle : ces avancées ne sont pas simplement des phénomènes qui « nous arrivent », mais des réalités que nous, en tant que société, avons le pouvoir de façonner par nos choix et les valeurs que nous portons. Il est essentiel de s'engager, avec l'ensemble des parties prenantes, dans un dialogue ouvert et transparent pour définir un cadre éthique apte à guider le développement et l’utilisation de ces technologies.